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La société civile sonne l’alarme climatique

Le 23 Aoû. 2023
La synthèse du sixième rapport d'évaluation du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), parue en mars 2023, est formelle : les changements climatiques, générés par l’activité humaine, sont généralisés, rapides et s’intensifient. Les phénomènes climatiques extrêmes - vagues de chaleur, fortes précipitations, sécheresses - sont plus fréquents et plus sévères ; la dérive climatique affecte déjà toutes les régions habitées de la planète, et les bouleversements s'accentueront avec la poursuite du réchauffement. Face à cette urgence, comment peut intervenir la société civile ?
La société civile sonne l’alarme climatique

Un constat qui appelle une réaction 

Considéré comme un « guide de survie » pour l’humanité par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, la synthèse du rapport du GIEC est également un témoin révélateur de l’insuffisance de l’action climatique des pouvoirs publics et des acteurs économiques. En effet, la transition écologique n’a pas encore eu lieu : les émissions mondiales de CO2 atteignent chaque année des niveaux record et les grands groupes pétroliers mondiaux continuent de planifier de nouveaux forages d'hydrocarbures, mettant en péril le respect des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Néanmoins, Pour Patricia Crifo, professeure d’économie à l’École polytechnique (IP Paris) et directrice adjointe du centre interdisciplinaire Energy4Climate, il est encore temps d'agir : « On lit souvent qu’il y aurait une inertie climatique de plusieurs décennies, et que les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre seraient en quelque sorte vains à court-moyen terme, constate-t-elle. Si de nombreux changements dus aux émissions passées et futures de gaz à effet de serre sont effectivement irréversibles (notamment sur les océans, les calottes glaciaires et le niveau mondial des mers),  le rapport souligne cependant que si nous réduisons fortement les émissions rapidement,  cela aura des effets visibles sur la qualité de l’air en quelques années, sur la température de la surface du globe dans un délai d’environ vingt ans, et sur de nombreux autres facteurs d’impact climatique à plus long terme. On peut donc agir sur notre futur climatique et chaque geste compte. » 

Sobriété et responsabilité individuelle 

Ainsi, « le GIEC place la sobriété comme un des leviers d’actions, rappelle Julie Mayer, Maître de Conférences au département I3-CRG (IP Paris). Cette notion de sobriété porte sur ce que peuvent changer les individus dans leur mode de vie, sur différents domaines, de façon à réduire leur consommation quotidienne. Que ce soit par la limitation d’utilisation des appareils électroniques, des transports, ou encore par un changement de régime alimentaire, avec une alimentation moins carnée, ou orientée vers une consommation plus locale. »   

La responsabilisation des individus a longtemps été mise en avant par les multinationales, afin d’éviter les régulations de la hard law. Reprenant la rhétorique des mouvements militants, certaines de ces entreprises ont appelé à « s’engager » et à « continuer le combat » par des gestes éco-responsables. En 2004, c’est le pétrolier British Petroleum (BP) qui lance la promotion d’un nouveau concept : « l’empreinte carbone ». En mettant à disposition un calculateur d’empreinte, BP propose ainsi aux particuliers de mesurer l’effet de leurs actes quotidien sur le climat.  

Des incitations ou nudges sont envisagés pour influer discrètement sur les comportements individuels et impulser des changements. Julie Mayer relativise cette approche : « Le rapport du GIEC souligne deux points d’attention clés : d’abord, que la sobriété ne peut pas se focaliser sur le niveau des comportements individuels. En effet, comment exiger d’un individu qu’il devienne sobre, si le système dans lequel il vit ne l’est pas ? Ensuite, le rapport rappelle que les efforts de diminution des consommations, visant une transition durable et juste, ne seront probablement pas les mêmes d’une population à une autre : de multiples facteurs, tels que le niveau de richesse, sont à prendre en compte. » 

Mais, quelque utile que soit l’engagement des individus vers des modes de vie décarbonés, c’est bien tout le système social et technique qu’il faut transformer en profondeur. Or, celui-ci relève d’investissements et de régulations collectives qui sont du ressort de l’État et des entreprises. 

La réaction de la société civile 

Une partie croissante des citoyens l’a bien compris : il est dangereusement contre-productif de faire reposer l'exclusivité de l’action sur les seuls individus, alors qu’il est urgent d’agir sur les causes structurelles du problème, généré par un système économique fondé sur les énergies fossiles. Les résultats de la Convention Citoyenne pour le Climat allaient dans ce sens : après neuf mois de travail, un ensemble ambitieux de 149 propositions a été développé, visant à proposer un nouveau modèle pour « changer en profondeur la société » et répondre à la crise climatique. Le retour au réel n’en a été que plus difficile : malgré les promesses, le texte de loi issu des propositions démontre un manque criant d’ambition et de réalisme face à l’urgence climatique. 

Face à l’accélération des conséquences du changement climatique, la société civile fait le constat de décennies d’échec de ses modes d’action : les marches pour le climat, les pétitions ou les campagnes de sensibilisation des ONG ne suffisent pas. De nouvelles initiatives voient donc le jour, jouant des deux côtés de la légalité.  

Le droit devient ainsi un outil d’action pour contraindre les gouvernements et les entreprises polluantes à agir. Inspirées par la condamnation des Pays-Bas dans le cadre de l’affaire Urgenda, les contentieux climatiques se multiplient dans le monde entier. En France, l’Affaire du Siècle a obtenu un soutien citoyen inédit, sa pétition recueillant plus de 2 millions de signatures. En octobre 2021, la justice reconnaît pour la première fois que l’État a commis une faute en ne respectant pas ses engagements de réduction des gaz à effet de serre, et condamne la France à réparer les conséquences de son inaction climatique. Une action en justice contre TotalEnergies est également menée par des collectivités territoriales et des associations, qui assignent la multinationale afin qu’elle prenne les mesures nécessaires pour réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre. 

Parallèlement, une nouvelle génération affiche la volonté de sonner l’alarme en multipliant les actions choc. Activistes, étudiants ou simples citoyens, ils alertent sur l’urgence avec un éventail de méthodes et un objectif commun : influencer les décideurs et réveiller l’opinion publique.  Adeptes de la désobéissance civile, les militants n’hésitent plus à durcir le ton lors d’actions symboliques et répétées : blocages de routes ou de sites industriels, éco-sabotage, occupation de Zones à Défendre, ou encore happenings  lors de manifestations culturelles ou sportives. Longtemps cantonné à une forme de neutralité, le milieu scientifique prend désormais part au mouvement, comme avec le collectif « Scientifiques en rébellion ». 

Parmi les modes opératoires, les blocages de route se sont multipliés en France et à l’étranger ces derniers mois. En perturbant la vie quotidienne de leurs concitoyens, l’objectif affiché est d’attirer l’attention sur l’urgence climatique, en se concentrant par exemple sur une demande consensuelle, telle que la rénovation thermique des bâtiments.  

Face au sentiment d’urgence accru, la légitimité de ces actions auprès de l’opinion publique se renforce, d’autant plus qu’elles ciblent les plus riches, dont les modes de vie sont considérés comme « hors sol » : trous de terrains de golf bouchés par du ciment, pneus de SUV dégonflés ou jacuzzis éventrés ont fait partie des actions.  

Face à un système politique et économique qui ne semble pas prendre la mesure de l’urgence, le passage à des modes d’action plus radicaux est considéré par certains comme l'ultime moyen de faire pression, quitte à créer des dissensions au sein même du mouvement écologiste. 

La voie des ONG  

Néanmoins, face à ces enjeux, de multiples ONG interviennent et, comme le souligne Nicolas Mottis, professeur à l’Ecole polytechnique (IP Paris), « Ce sont des organisations qui ont souvent des convictions stables et un horizon de réflexion à très long terme, ce qui n’est pas toujours le cas des entreprises. Elles se font parfois entendre par le biais d’actions spectaculaires très médiatiques. Intervenir dans les assemblées générales des entreprises, de façon conventionnelle ou pas, est devenu un levier essentiel. Un second levier, moins connu, est celui du dialogue qu’elles s’efforcent d’engager sur le fond avec les dirigeants d’entreprises – sans toujours y parvenir. Elles essaient alors de déplacer ces espaces de dialogue depuis les fonctions en marge de l’entreprise, comme la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou la communication, vers les directions générales, financières ou stratégiques. Si certaines entreprises l’acceptent, pour d’autres, ce dialogue reste cantonné aux fonctions périphériques, ce qui me paraît une erreur stratégique. Les ONG dialoguent également beaucoup avec les régulateurs et les Etats, ce qui finit par promouvoir nombre d’enjeux majeurs.»

Consommateurs, citoyens, associations, la société civile est désireuse de prendre sa part à l’action climatique. Reste à trouver une gouvernance efficace, adaptée à chaque culture et à chaque contexte.

Cet article fait partie d'une série publié autour de la deuxième édition du colloque REFLEXIONS organisé par l'Institut Polytechnique de Paris le 9 juin  2023. 

Découvrez les autres articles de la série : 

- Le changement climatique : de la prise de conscience à la gouvernance

- La finance verte, moteur de la transition  ?

- Les marchés au service du climat

- La transition vers des sociétés bas carbone