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[REFLEXIONS] La finance verte, moteur de la transition  ?

Le 02 juin. 2023
On a vu ces dernières années la popularisation du concept d’empreinte carbone. Appliquée à différentes échelles et dans différents contextes, elle indique la contribution négative d'un acteur, d'un projet au réchauffement climatique. Cette notion peut aussi s'appliquer à l'épargne dont l'impact bien qu’indirect, n’en est pas moins majeur (1). Ce côté indirect ne doit donc pas occulter le potentiel de la finance, si elle est mise au service de la transition de nos sociétés, en particulier face aux immenses enjeux liés à l'urgence climatique.
[REFLEXIONS] La finance verte, moteur de la transition  ?

Orienter l'épargne vers le financement de la transition 

La conversion de l’ensemble des infrastructures et de l’industrie vers des technologies bas carbone va nécessiter des investissements massifs. Parallèlement au financement des énergies vertes et de la décarbonation, il s’agit aussi de limiter les investissements dans les énergies fossiles et les infrastructures polluantes. L’aiguillage de l’épargne vers les technologies vertueuses est donc l'un des points clés de la transition énergétique.  D'autant, comme l'affirme Nicolas Mottis, professeur à l'Ecole polytechnique - IP Paris, « que les montants d’investissement nécessaires pour financer cette transition existent, cela ne représente par exemple en France que quelques dizaines de milliards d'euros par an. Le principal problème est celui de l'allocation des ressources financières aux investissements qui visent la neutralité carbone. » 

Performance ESG, finance responsable, finance verte, de quoi parle-t-on ? 

L’idée selon laquelle les activités économiques ont des impacts sociaux et environnementaux, au-delà de leur simple rôle productif existe dès la Révolution Industrielle. Plus récemment, le concept de responsabilité sociétale des entreprises apparaît dans les années 1950, et l'intégration de critères non financiers dans les décisions d’investissement émerge dans les années 2000. En 2007, on voit ainsi apparaître des termes tels que finance à impact (ou impact investing), tandis que la Banque Européenne d’Investissement émet les premiers green bonds, ou obligations vertes (2). Depuis, le secteur s’est fortement développé et structuré. 

La finance responsable ou investissement socialement responsable (ISR) englobe toutes les initiatives qui visent à prendre en compte la performance environnementale, sociale et gouvernementale (ESG) dans le pilotage des décisions d'investissement. Comme le rappelle Nicolas Mottis, « la prise en compte des paramètres extra-financiers a longtemps été l'angle mort de la relation entre les investisseurs et les entreprises. C'est ce que l'on appelle aujourd'hui les critères ESG, qui recouvrent pour l'Environnement, ce qui concerne la consommation d'énergie, l'eau, la biodiversité, l'économie circulaire, les émissions de polluants, etc. ; pour le Social : la diversité, l'égalité homme-femme, le niveau d'accident, le bien-être au travail, la formation, etc ; et pour la Gouvernance : l'indépendance du conseil d'administration, sa composition, la lutte contre la corruption, etc.. ».  

La finance verte s'attache plus particulièrement aux critères environnementaux. Elle est souvent confondue avec la finance climat qui se concentre sur les sujets de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il n’est pas aisé de définir précisément les contours de la finance climat, d’autant que les usages du vocabulaire sont parfois flottants. Ses objectifs vont du financement des énergies vertes à l’adaptation aux conséquences du changement climatique déjà en cours.  

Un domaine en quête de standards

Portefeuille « aligné 2°C », trajectoire  climatique d’un investissement, exclusion des énergies fossiles, intentionnalité, additionnalité, … Les termes et indicateurs utilisés sont légion, et, à l’heure où il est de bon ton de revendiquer une neutralité carbone, il peut être difficile de différencier ce qui relève de la simple communication de l’engagement réel. Autrement dit, la qualité des données ESG est un véritable enjeu.  

Des initiatives comme Science Based Targets (SBTi) ou TCFD, très utilisées par les investisseurs, visent à aider les entreprises à se saisir de ces questions et à définir des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) fondés sur la science pour répondre aux objectifs de l'Accord de Paris sur le climat. 

De son côté, le Parlement Européen a adopté le règlement « Taxonomie » le 18 juin 2020, suivi de deux actes délégués complémentaires parus à ce jour, qui précisent ses modalités d’application. Aussi connu sous le nom de « Taxonomie verte » (3), ce règlement vise à définir des standards de nomenclature des investissements ainsi que des obligations de reporting pour les entreprises. Il s’inscrit dans le cadre du Green Deal (4), qui évoque la nécessité de disposer d’ « informations fiables, comparables et vérifiables (...) pour réduire le risque d’”écoblanchiment” ». L’établissement de standards y est vu comme un moyen de « lutter contre les allégations écologiques trompeuses ». La Taxonomie européenne définit la notion d’activité économique durable en un sens large, puisqu’elle doit contribuer significativement à l’un des six objectifs environnementaux suivants : 

  • L’atténuation du changement climatique
  • L’adaptation au changement climatique
  • L’utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et marines
  • La transition vers une économie circulaire
  • La prévention et la réduction de la pollution
  • La protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes” 

Toute la difficulté réside cependant dans les détails techniques. Les nombreux débats sur l’intégration ou non du nucléaire et du gaz dans la taxonomie, finalement désignés comme activités transitoires, n’en sont que la partie émergée.  

Engagement actionnarial et régulation par les marchés financiers 

« Aujourd'hui, les actionnaires ont un rôle clé pour rendre opérationnels des enjeux tels que le réchauffement climatique et la transition au cœur des stratégies des entreprises, affirme Nicolas Mottis. Ainsi, par exemple, lors des assemblées générales, les acteurs de la finance responsable interpellent les dirigeants d'entreprises sur l'intégration des enjeux climat, en déposant des résolutions exigeant des performances ESG, parallèlement aux performances financières habituelles ». 

« L'évolution du cadre réglementaire et législatif peut également jouer un rôle incitatif important en faveur du climat, poursuit Nicolas Mottis, qui est aussi membre de la Commission Climat et Finance Durable (CCFD) de l'Autorité des Marchés Financiers (AMF).  À l'instar des « say on pay », qui ont fait évoluer les habitudes des entreprises en matière de rémunération des dirigeants, si on met le sujet du climat sur la table avec des “say on climate”, on aura des progrès sur ce sujet ».  

La CCFD a ainsi récemment recommandé que la stratégie et les objectifs de l’entreprise en matière de climat et de réduction des émissions de gaz à effet de serre fassent l'objet d'un vote en assemblée générale et que les résolutions déposées par des actionnaires soient plus facilement proposées et votées en assemblée générale. Ces propositions font l'objet de l'opposition de certaines entreprises qui les jugent incompatibles avec les prérogatives stratégiques du conseil d'administration. Le débat est en cours, attestant du potentiel de la régulation des marchés financiers.  

Enjeux et limites 

Comment évaluer les impacts et s’assurer de l’absence d’effets pervers cachés tels que l’effet rebond ou les délocalisations ? Sur quel horizon de temps ? Comment pondérer des impacts de natures différentes ? Faut-il évaluer les investissements a priori, ou bien a posteriori, quitte à mettre en place des contrats qui prévoient des systèmes de bonus/malus entre le fonds d’investissement et l’entreprise ? Malgré la complexité de ces questions, qui ne favorise pas la démocratisation de la finance verte, celle-ci aura certainement toute sa place dans le financement de la transition, aux côtés de mécanismes complémentaires tels que les taxes carbone et les marchés de quotas.

Transition énergétique, taxe et marchés carbone, finance verte, implication de la société civile, l’action climatique est protéiforme. Retrouvez ces thématiques lors du Colloque REFLEXIONS qui aura lieu le 9 juin prochain sur le campus de l’Institut Polytechnique de Paris.

(1) Oxfam a développé une calculatrice pour appréhender ce sujet 

(2) Impact Investing, Transforming How We Make Money while Making a Difference, d’Antony Bugg-Levine et Jed Emerson, retrace ainsi l’histoire des principaux concepts liées à la finance à impact social

(3) L’expression “taxonomie verte” n’est jamais employée en tant que telle dans le règlement, même si elle désigne dans le langage courant les “activités durables” définies par le règlement (UE) 2020/852.

(4) Commission Européenne, 11 décembre 2019, Communication de la commission au parlement européen au conseil européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, “Le pacte vert pour l’Europe”.