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Prédire les antimicrobiens de demain

Le 29 mai. 2024
Dans un contexte de résistance aux antimicrobiens (AMR) toujours plus pressant et de rentabilité en baisse, le développement de nouveaux médicaments ciblant les bactéries et virus pathogènes a glissé de l’industrie pharmaceutique vers les startups et la recherche académique. En portant le projet interdisciplinaire Antires, Julian Garrec, chercheur au sein de l’Unité chimie et procédés (UCP*), coordonne la création d’un algorithme capable de prédire les mutations d’un agent pathogène soumis à la pression d’une molécule médicament.
Prédire les antimicrobiens de demain
©DR

« Imaginez que nous ayons toujours une longueur d’avance sur l’évolution des microorganismes et que nous puissions anticiper chaque génération de traitement », lance Julian Garrec, professeur assistant à l’ENSTA Paris et chercheur à l’UCP. Ce rêve, c’est celui auquel pourrait bien donner vie Antires, projet pluridisciplinaire rassemblant des scientifiques du laboratoire de biologie structurale de la cellule (BIOC**), du laboratoire de synthèse organique (LSO***) et de l’institut de recherche biologique des armées (IRBA), avec le soutien de l’Agence de l’innovation de défense (AID). 

Pour mener à bien leurs travaux, les membres du projet s’appuient sur Burkholderia pseudomallei. Cette bactérie déjà surveillée de près par l’IRBA est responsable de la mélioïdose, une maladie potentiellement mortelle bien connue des militaires. Toute l’équipe braque ses projecteurs sur une enzyme intervenant indirectement (par la voie métabolique des folates) dans la synthèse des bases azotées composant l’ADN du microorganisme, la dihydrofolate réductase (DHFR). Ici, le traitement antibiotique consiste à inhiber l’enzyme avec une molécule médicament venant occuper son site actif – la cavité abritant les processus chimiques entre l’enzyme et son substrat - en lieu et place de la molécule naturellement transformée.

Molécules en mouvement

Il s’agit alors de déterminer le candidat médicament qui occupera au mieux cet espace et freinera la reproduction de la bactérie. Pour l’heure, la R&D privilégie le Docking. « Cette technique est basée sur une évaluation approximative et statique des interactions enzyme-substrat ou enzyme-médicament. L’enzyme et la molécule qui s’y lie sont traitées comme des entités rigides. Or, dans la réalité, un système enzymatique est un objet très souple, plastique et dynamique. Le réalisme et le pouvoir prédictif du Docking sont donc très limités », explique Julian Garrec. En effet, lorsque l’enzyme est en présence de son substrat et d’un candidat médicament, la dynamique moléculaire implique que chaque élément entre et sort plus ou moins rapidement du site actif. À la manière d’un jeu de chaises musicales, le substrat laisse au médicament plusieurs opportunités de prendre sa place et il y a un fort intérêt à augmenter l’affinité du traitement pour le site actif. C’est là qu’Antires entre en scène, en proposant des travaux interdisciplinaires novateurs de modélisation et de prédiction moléculaire.

L’équipe reconstitue numériquement les structures tridimensionnelles de la DHFR sauvage (avant mutation) et de son substrat. En y adjoignant les méthodes de modélisation des systèmes chimiques complexes récompensées par le Prix Nobel de chimie en 2013****, elle parvient à décrire en détail les processus moléculaires en jeu au cœur du site actif de l’enzyme. Ces approches sont une application des lois de la mécanique quantique et de la physique statistique aux systèmes moléculaires. « Nous simulons comment les atomes de la DHFR interagissent avec ceux du substrat ou de la molécule médicament et nous sommes capables de mesurer précisément in silico l’affinité entre ces protagonistes et l’enzyme », sourit le chercheur.  

Voilà pour le premier étage de la fusée. Les scientifiques d’Antires souhaitent désormais coupler ces techniques de modélisation à un algorithme qui permettrait de prévoir les mutations de la DHFR lorsque B.pseudomallei est soumise à la pression d’un antibiotique. Les expérimentations de l’IRBA ont déjà révélé le mutant advenant en présence de triméthoprime par exemple. « Nous croisons les doigts pour que l’algorithme que nous créerons prédise le même mutant. Cela signifiera que notre outil fonctionne. Nous serons alors capables d’anticiper une mutation chez un pathogène lorsqu’il est en présence d’une molécule médicament », conclut Julian Garrec.

*UCP : un laboratoire ENSTA Paris, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

**BIOC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

***LSO : une unité mixte de recherche CNRS, ENSTA Paris, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

**** https://www.nobelprize.org/prizes/chemistry/2013/summary/