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La mécanique enzymatique, levier d’action contre l’antimicrobiorésistance

Le 28 mai. 2024
Pour lutter efficacement contre son ennemi, autant bien le connaître. Hannu Myllykallio, directeur de recherche au Laboratoire d'Optique et Biosciences de l'École polytechnique*, et la post-doctorante Rima Zein-Eddine, étudient les mécanismes moléculaires de la résistance aux antibiotiques, notamment chez Mycobacterium tuberculosis. Les enzymes qu’ils ont isolées interviennent dans la réplication et la réparation de l’ADN des microorganismes. Elles ouvrent des perspectives encourageantes dans la lutte contre l’antimicrobiorésistance.
La mécanique enzymatique, levier d’action contre l’antimicrobiorésistance
Culture bactérienne / archées © École polytechnique - J.Barande

C’est en étudiant l’adaptation moléculaire bactérienne en milieu extrême qu’Hannu Myllykallio s’est intéressé à la lutte contre l’antibiorésistance. Le directeur de recherche du Laboratoire d’Optique et Biosciences* (LOB) a découvert chez les archées** des enzymes spécifiques à la réplication de l’ADN également présentes chez des bactéries pathogènes pour l’Homme. « Ces thymidylate synthases que l’on retrouve chez Mycobacterium tuberculosis et Helicobacter pylori interviennent dans la synthèse de la lettre T (la thymine) de l’ADN », explique le scientifique. Fait intéressant, elles n’agissent pas de la même manière chez les humains. Il est donc possible d’envisager une action antibiotique en agissant sur les thymidylates afin de perturber la réplication de l’ADN. « Nous avons identifié une molécule candidate qui inhibe significativement l’activité de ces enzymes chez la souris », se réjouit Hannu Myllykallio. 

Cet inhibiteur de thymidylate a été modélisé en 3D puis passé à la moulinette d’un algorithme développé par le Laboratoire d’informatique de l’École polytechnique (LIX***), spécialiste de l’intelligence artificielle (IA). L’objectif est d’optimiser la structure et l’efficacité du candidat médicament. Un projet de startup entoure cette IA. Elle devrait en effet offrir un réel gain de temps dans le développement de molécules et pallier le manque de rentabilité qui a conduit les entreprises pharmaceutiques à désinvestir la conception d’antibiotiques.

Aider les bactéries à réparer leur ADN

Parallèlement, le chercheur et Rima Zein-Eddine, post-doctorante au LOB, abordent les mécanismes de l’antibiorésistance par le prisme de la recherche fondamentale. « Nous savons que Mycobacterium tuberculosis vit dans les poumons et que chaque malade est infecté par une souche unique. Le brassage génétique est impossible. Pourtant, la bactérie peut développer une antibiorésistance. Sa seule manière d’y parvenir est donc de modifier son ADN d’une génération à l’autre, de muter » explique Hannu Myllykalllio. Les scientifiques ont noté que le taux de mutation était lié à l’activité d’une autre enzyme, NucS, entrant cette fois en jeu dans la réparation de l’ADN. « Nous avons observé que si l’activité de l’enzyme diminue, l’ADN n’est pas ou mal réparé, ce qui augmente le taux de mutation. La bactérie devient alors davantage résistante ».

Rima Zein-Eddine a poussé les investigations en décortiquant 60 000 séquences génétiques de Mycobacterium tuberculosis publiées dans la banque de données Genbank. « Elle a identifié plus d’une centaine de mutations dans différents gènes de réparation de l’ADN associées à la résistance aux antibiotiques. La plupart de ces mutations affectent les sites actifs des enzymes de réparation de l’ADN, démontrant que la réparation de l’ADN est un marqueur de résistance aux antibiotiques ».

Une des pistes de lutte contre l’antimicrobiorésistance est alors de maintenir l’activité réparatrice de NucS malgré les mutations, en adaptant les molécules qui interagissent avec elle aux nouvelles caractéristiques de son site actif. « C’est une voie vers une médecine de précision dans laquelle l’antibiotique est adapté spécifiquement au patient, à la souche qui l’affecte et à la mutation qu’elle porte ». La lutte contre l’antimicrobiorésistance a de l’avenir. Ceci d’autant plus que les mutations identifiées par Hannu Myllykallio et Rima Zein-Eddine n’impactent pas toutes significativement la santé humaine. 

Le poids des activités humaines

Il ne faut toutefois pas perdre de vue le rôle du changement climatique et des activités humaines dans le phénomène d’antimicrobiorésistance. « D’un côté l’utilisation généralisée des antibiotiques et leur dissémination dans l’environnement créent un stress oxydatif à l’origine des mutations de l’ADN bactérien. De l’autre, l’augmentation des températures accélère le métabolisme des microorganismes, leur multiplication, et la transmission des gènes de résistance entre individus. Tout est lié ».

** Les archées sont des microorganismes unicellulaires sans noyaux ni organites, comme les procaryotes (bactéries), mais se rapprochent génétiquement des eucaryotes (organismes dont les cellules comportent un noyau).

 

À propos :

Hannu Myllykallio est responsable de la thématique de recherche "Mécanismes moléculaires de l'adaptation microbienne" au Laboratoire d’Optique et Biosciences à l'École polytechnique. Il a obtenu son doctorat à l'Université de Pennsylvanie, Philadelphie, en étudiant la conversion de l'énergie biologique chez les bactéries photosynthétiques, suivi d'une recherche postdoctorale sur la réplication et la réparation de l'ADN microbien en région parisienne. Il utilise un large éventail de méthodes computationnelles et expérimentales pour comprendre les mécanismes moléculaires qui sous-tendent la résistance antimicrobienne et la stabilité du génome dans les cellules procaryotes.

La page LinkedIn d’Hannu Myllykallio


*LOB : une unité mixte de recherche CNRS, Inserm, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

***LIX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France