Microscopie multi-photons…et multifacettes
C’est à la frontière de la physique et des sciences de la vie que se dessine le quotidien d’Emmanuel Beaurepaire, directeur de recherche CNRS au Laboratoire d’Optique et Biosciences* (LOB) de l’École polytechnique. À plusieurs centaines de micromètres de la surface des tissus biologiques, le chercheur scrute la morphologie et le fonctionnement des cellules avec une résolution micrométrique (ndlr : une cellule mesure quelques dizaines de micromètres). Il développe pour cela un outil dont l’équipe « microscopies avancées » du LOB est devenue spécialiste : le microscope multi-photonique.
Non invasive, cette technique d’imagerie préserve les tissus et dans certains cas, permet les observations in vivo. « Elle est apparue dans les années 90, dans le sillage des lasers à impulsions très courtes (femtosecondes, 10-15s). Un faisceau de lumière infrarouge pulsée cible l’échantillon. Au point de focalisation, donc dans un volume très petit, une fraction du faisceau est convertie puis réémise en une lumière visible, caractéristique des propriétés photophysiques des tissus observés », explique Emmanuel Beaurepaire. En balayant le point focal en 2D ou en 3D, les scientifiques élaborent des images très détaillées contenant des informations précieuses, non observables en microscopie classique. « Pour comprendre ces signaux, il faut toutefois étudier la façon dont ils se manifestent dans les tissus et les cellules. Il faut également construire des modèles numériques qui permettront d’en déduire des paramètres biologiques pertinents ».
La microscopie multi-photonique donne en effet accès à des contrastes variés et à de nombreuses applications en sciences du vivant. Ainsi, la fluorescence naturellement présente dans certains tissus, ou introduite génétiquement, a été un atout dans l’étude de la neurogénèse et des lignées de cellules cérébrales (marquage Brainbow - cf rubrique Focus sur le Brainbow labeling). Elle est par ailleurs un excellent marqueur de l’état métabolique des cellules, et par conséquent un indicateur de leur évolution saine ou pathologique.
Entre recherche fondamentale et appliquée
« Cette propriété nous intéresse particulièrement dans l’étude de certaines maladies neurodégénératives liées à la production de myéline », souligne le chercheur. Dans le cadre d’une collaboration avec l’Institut du cerveau et de la moëlle épinière (ICM**), l’équipe « microscopies avancées » sonde en effet l’état métabolique des cellules productrices de myéline, par fluorescence. Dans le même temps, un signal spécifique de la microscopie multi-photonique - la génération de troisième harmonique (THG) – lui permet de caractériser sa distribution dans le tissu nerveux. « La THG différencie les milieux selon leurs indices de réfraction. On peut donc l’utiliser pour cartographier la répartition de la myéline à des échelles allant du micromètre au centimètre dans des échantillons de tissus sains et pathologiques. Superposez ces observations aux données obtenues par fluorescence et vous étudiez le lien entre myéline et métabolisme cellulaire », se réjouit le chercheur. La génération de troisième harmonique n’a d’ailleurs pas fini de livrer tout son potentiel. Au détour de leurs travaux, les scientifiques ont observé que celle-ci pouvait spécifiquement révéler les globules rouges et leur niveau d’oxygénation. Une découverte fortuite qui ouvre la voie à une meilleure compréhension des images obtenues en IRM fonctionnelle, basée sur le lien activité cérébrale – oxygénation des neurones.
« La microscopie multi-photonique est au carrefour des recherches fondamentale et appliquée. Grâce à elle, nous comprenons mieux la mécanique de certaines pathologies et explorons régulièrement de nouveaux débouchés ». Ainsi, un autre signal appelé génération de seconde harmonique (SHG) renseigne sur la structure du collagène, élément incontournable de la matrice extracellulaire. En ophtalmologie, l’organisation en lamelles de cette protéine contribue à la transparence de la cornée. Au sein du pôle microscopie du LOB, le groupe de Marie-Claire Schanne-Klein a ainsi montré comment la SHG permet de cartographier finement ces structures et de repérer les désorganisations qui déforment le tissu et l’opacifient. Dans certains cancers gynécologiques, le même signal dévoile la distribution du collagène dans la matrice extracellulaire et les liens avec la progression des tumeurs. Elle est également utilisée sur certains organismes modèles pour observer la répartition des myofilaments lors du développement du cœur.
Des défis à relever
« Nous avons acquis une expertise dans le domaine de la microscopie multi-photonique et des défis techniques sont à relever pour optimiser les microscopes : leur miniaturisation pour imager des cerveaux de souris au travail, l’augmentation de la vitesse d’acquisition des images pour étudier les contractions de tissus cardiaques, imager à une plus grande profondeur (supérieure au millimètre) … ». Enfin, un enjeu majeur émerge autour de la gestion des données. De plus en plus détaillées et nombreuses, les images délivrent une quantité importante d’informations à traiter et analyser. « Aujourd’hui par exemple, nous sommes en mesure de cartographier un cerveau entier de souris avec une résolution cellulaire. C’est un data set colossal ! L’intelligence artificielle, via le Machine Learning, est un allié précieux pour détecter des millions de cellules dans une image, puis analyser et interpréter les nombreuses mesures extraites des données », conclut le chercheur.
À propos
Emmanuel Beaurepaire est physicien de formation et spécialiste de la microscopie multi-photon des tissus biologiques à l’Institut Polytechnique de Paris. Il travaille au Laboratoire d'Optique et de Biosciences de l'École polytechnique (IP Paris), où il est nommé directeur de recherche par le CNRS.
*LOB : une unité mixte de recherche CNRS, Inserm, École polytechnique, Institut Polytechnique
de Paris, 91120 Palaiseau, France
**ICM : Sorbonne Université, Inserm, CNRS, AP-HP