Matériaux de demain : les avantages du papier, la résistance à l’humidité en plus ?
Quel est votre domaine de recherche ?
Je travaille sur l’interaction entre les fluides et les structures à toute petite échelle. Mon approche fait appel à la mécanique des fluides, et la mécanique des matériaux en particulier appliquée à la matière molle. Cette discipline permet par exemple d’étudier le transport d’objets dans des micro-canaux et de voir comment ils se déforment, ou encore de capturer l’eau contenue dans la brume en attrapant les gouttes de brouillard avec un textile.
Une partie de mes recherches porte sur les textiles intissés. Il s’agit de textiles qui ne sont pas fabriqués par une technique de tissage ou de tricot, mais à partir de fibres liées entre elles par d’autres moyens, comme un traitement mécanique (friction) ou l’ajout d’un liant. Le feutre en est un exemple, mais aussi le textile qui constitut les masques chirurgicaux. En 2020, au début de la pandémie de COVID-19, mon équipe et moi avons d’ailleurs étudié l’étanchéité de ces masques en visualisant par ombroscopie les écoulements et fuites lors d’un éternuement ou un épisode de toux. Ces dernières années, on voit apparaitre de plus en plus d’interdisciplinarité dans ce domaine avec davantage de dialogue entre la recherche de fond et les applications. J’ai récemment publié un article de revue sur le sujet.
Qu’est-ce que le projet ElCapiTex ?
ElCapiTex signifie « Elasticité, capillarité et imbibition dans les textiles ». L’imbibition est la capacité d’un matériau à absorber un liquide. Quant à la capillarité, elle définit ce qu’il se passe à l’interface d’un liquide avec un solide, avec un autre liquide avec lequel il ne se mélange pas, ou encore avec un gaz. C’est par ce phénomène que l’eau peut remonter le long des parois d’un tube très fin, appelés « tubes capillaires » du fait de leur diamètre proche de celui d’un cheveu. Dans la vie quotidienne, la capillarité se manifeste par exemple quand les poils d’un pinceau, séparés les uns des autres lorsque celui-ci est sec, se collent entre eux après l’avoir trempé dans l’eau. En prenant en compte l’élasticité, on parle d’élasto-capillarité, c’est-à-dire la façon dont le matériau se déforme lorsqu’il est soumis aux forces de capillarité.
Le projet ElCapiTex portera sur une structure intissée semblable à du papier, en ce sens qu’il sera constitué de fibres naturelles entremêlées. L’application principale serait les matériaux d’emballages. Aujourd’hui, le papier et le carton sont largement utilisés dans l’industrie pour l’emballage. Ce sont des matières recyclables et que l’on peut sourcer localement, mais qui ont la spécificité de ne pas supporter l’humidité, ce qui peut poser problème pour certains produits, notamment dans l’agro-alimentaire.
Peut-on créer un matériau proche du papier qui ne serait pas dégradé par l’humidité, en jouant sur sa microstructure ? C’est la question à laquelle nous essaierons de répondre avec des expériences modèles. Elles consisteront à la fabrication des fibres à partir d’un réseau de polymères gorgé d’eau (appelé hydrogel). Le mélange de fibres et d’eau sera égoutté sur un support poreux, à l’instar de la méthode utilisée en papèterie pour égoutter la pâte à papier. Après séchage complet, les fibres ainsi enchevêtrées deviendront plus fines et rigides. C’est alors qu’on étudiera ce qu’il se produit lorsqu’elles sont mouillées à nouveau, notamment l’elasto-capillarité et le gonflement du matériau humide. Les résultats des expériences seront utilisés pour élaborer des modèles prédictifs. L’objectif est d’étudier le lien entre la microstructure, la déformation et la présence d’eau afin de comprendre les mécanismes mis en jeux. Pour cela, nous utiliserons l’équipement disponible au laboratoire, mais il est aussi prévu, par exemple, de faire l’acquisition de matériel de photopolymérisation pour la fabrication des structures grâce à la bourse ERC.
Qu’en est-il des collaborations ?
Le projet a déjà pu bénéficier d’une collaboration. J’ai en effet pu réaliser de premières expériences de fabrication d’un hydrogel lors d’un séjour sabbatique de recherche à l’Université de Princeton, aux Etats-Unis. En complément de mon réseau de collaboration existant que je conserve, la bourse ERC permettra d’en démarrer de nouvelles, notamment avec des spécialistes du textile ou du papier d’autres centres de recherche européens.
Par ailleurs, ce financement est un moyen de mener des recherches différentes de ce dont on a l’habitude au laboratoire. Par exemple, il permettra de recruter en post-doc une personne avec un profil plus théoricien, complémentaire aux compétences expérimentales dont nous disposons déjà. D’ici quelques mois, de nouvelles personnes viendront enrichir l’équipe de recherche qui travaillera sur le projet ElCapiTex. Elle comprendra 3 doctorantes et doctorantes, 3 post-docs, et plusieurs ingénieurs et ingénieures aux profils différents afin de nous permettre d’aller plus loin.
Avez-vous d’autres projets ?
Alors que le projet ElCapiTex débute, j’ai plusieurs projets qui arrivent à leur fin. Actuellement, j’encadre trois doctorants qui terminent bientôt leur projet de thèse, et j’ai récemment passé le relais de la chaire professorale Jean Marjoulet. En parallèle, je compte poursuivre mes activités d’enseignement et assurer mes fonctions de vice-presidente du Département de Mécanique de l’École polytechnique. Je suis également co-porteuse de la Chaire d’enseignement et de recherche « Procédés et Matériaux Innovants » soutenue par l’entreprise Saint-Gobain. Celle-ci finance notamment des bourses de master pour des étudiants internationaux à l’Institut Polytechnique de Paris, des bourses de stage pour les élèves polytechniciens, des enseignements dans le domaine des matériaux ainsi que des recherches par exemple sur le phénomène de friction sur la neige, ou la coloration de verres.
*LadHyX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
Funded by the European Union (ERC ElCapiTex 101087747).