Les sciences du photovoltaïque
Palaiseau, un matin d’octobre. Grisaille et pluie automnales sont au rendez-vous. Un quasi-paradoxe lorsqu’il s’agit de se rendre à l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France (IPVF1). Pourtant, cette météo est l’occasion de rappeler qu’au-delà de la physique liée à la lumière, le photovoltaïque appelle de nombreux domaines de recherche. À l’instar de la chimie des surfaces, dont Nathanaelle Schneider est spécialiste, et plus spécifiquement de l’Atomic Layer Deposition (ALD), une technique élaborée il y a une cinquantaine d’années pour recouvrir des objets d’une couche de matériau 100 000 fois plus fine qu’une feuille de papier (de l’ordre du nanomètre). « Il s’agit de vaporiser des composés spécifiques - des précurseurs moléculaires - sur une surface afin de déclencher une réaction chimique qui aboutira à la formation d’une couche atomique. On répète cela autant de fois que nécessaire ce qui conduit à la fabrication d’une couche mince dont on contrôle l’épaisseur à l’échelle de l’atome », explique la chargée de recherche au CNRS.
Couche barrière
Nathanaelle Schneider applique l’ALD aux cellules photovoltaïques dans le but de les protéger (cf : encadré Encapsuler pour mieux protéger) et/ou d’en améliorer les performances (rendement de conversion, utilisation d’éléments abondants…). En effet, les cellules actuelles sont composées de couches de semi-conducteurs empilées. Ce dispositif permet, au niveau de leur zone de jonction, la création d’un champ électrique et la circulation des électrons générés par l’absorption des photons. « Par exemple, les semi-conducteurs présentent des défauts à leur surface où les charges peuvent se recombiner. Elles ne contribuent alors plus à la conversion photovoltaïque et le rendement de la cellule diminue », explique Nathanaelle Schneider. « En épousant parfaitement les surfaces qu’elle recouvre (on parle alors de conformité), l’ALD permet de fabriquer des revêtements qui pallient ce phénomène. C’est d’autant plus intéressant que la tendance est à la multiplication des matériaux et des interfaces comme dans les cellules tandem silicium-pérovskite ».
Dans ce contexte, la scientifique cherche la bonne chimie et le bon procédé qui aboutiront à la fonction souhaitée, ici la passivation. À l’inverse, et de manière plus fondamentale, Nathanaelle Schneider peut caractériser une molécule prometteuse et déterminer si des applications sont possibles dans le photovoltaïque ou d’autres domaines. « J’étudie par exemple les précurseurs moléculaires pour l’ALD et me rapproche pour cela des collègues du Laboratoire de chimie moléculaire (LCM2). J’observe les fonctions et les propriétés que le matériau acquiert au fil de sa croissance, à l’aide notamment d’instruments de mesure optiques développés au sein de l’IPVF (propriété d’absorption, conductivité, épaisseur, etc.) ». L’enjeu est de taille lorsque l’on sait que les cristaux de pérovskite ne supportent pas les températures supérieures à 100°C et que les protocoles courants de dépôts de couches flirtent avec les 500 °C. Défi supplémentaire : la durée de vie des panneaux photovoltaïques est fixée à 20 ans et les chercheurs ambitionnent de déployer le tandem silicium-pérovskite sur de grandes surfaces (40 cm * 60 cm).
Relaxation des électrons et haut rendement
Complémentaire de la chimie, la physique est une des autres voies explorées par les chercheurs pour développer des panneaux photovoltaïques plus efficaces. À travers le prisme de la thermodynamique, Daniel Suchet analyse et caractérise certains phénomènes physiques en jeu dans la conversion de l’énergie solaire en électricité et en explore les stratégies possibles. Les interactions lumière-matière font partie de son quotidien, notamment dans les porteurs chauds. « Il s’agit de matériaux dont on a excité les électrons par un procédé optique ou avec de la lumière. Ces derniers ont alors reçu un excès d’énergie qu’ils n’ont pas eu le temps de dissiper en échangeant thermiquement avec leur environnement », précise le professeur assistant à l’École polytechnique et directeur scientifique adjoint au Centre interdisciplinaire Energy 4 Climate. En examinant la lumière réémise par ces matériaux (analyse par photoluminescence), le physicien cherche à comprendre la dynamique de relaxation des électrons (ndlr : le retour d’un électron excité à un niveau d’énergie inférieur accompagné de l’émission d’un photon), préalable incontournable à de nouvelles perspectives dans le domaine du photovoltaïque. « En effet, cet excès d’énergie est potentiellement récupérable et transformable en puissance électrique. Cela permet d’envisager la mise au point de cellules photovoltaïques à très haut rendement ».
La même méthode d’analyse est appliquée à l’étude de la dégradation des matériaux. En plaçant des échantillons en chambre de vieillissement (températures extrêmes, humidité, UV, etc.), le chercheur y provoque l’apparition de défauts. Il peut alors observer l’impact de ces altérations sur le comportement des électrons, en temps réel, via l’analyse de mesures électriques et de photoluminescence. « L’accélération » du temps permet de déterminer si les dégradations observées suivent une trajectoire classique ou changent les mécanismes à l’œuvre. « C’est idéal pour anticiper l’évolution de nouveaux types de cellules photovoltaïques ou de nouveaux matériaux, notamment dans des milieux peu conformes comme les environnements agricoles pour l’agrivoltaïque, ou des plans d’eau pour le photovoltaïque flottant ».
Déployer et optimiser l’utilisation du photovoltaïque
De tels dispositifs sont d’ailleurs à l’étude au sein de l’Institut Polytechnique de Paris, à l’instar de la plateforme agrivoltaïque du SIRTA3ou de la future plateforme XSeaO2 prévue sur le lac de l’École polytechnique. « Elles font partie d’une série de six démonstrateurs à venir sur le campus de Palaiseau. À travers eux, nous cherchons comment déployer massivement l’énergie solaire à l’échelle d’une ville ou d’un quartier, et testons des solutions pour mieux produire cette même énergie et la consommer. Nous utilisons pour cela du matériel existant dans l’industrie, au plus proche des applications », explique Jordi Badosa, ingénieur de recherche au Laboratoire de météorologie dynamique (LMD)4de l'l’École polytechnique et directeur technique au centre interdisciplinaire Energy 4 Climate (E4C).
Au SIRTA, par exemple, de la luzerne pousse à « l’ombre » de panneaux photovoltaïques. « Orientables, plus espacés qu’à l’accoutumée, ils peuvent protéger les cultures des aléas météo (sécheresse, grêle, etc.) et conformément à la législation en vigueur, sont avant tout au service de la plante (priorité à l’agriculture) ». Des instruments disséminés sur la parcelle cultivée renvoient des données depuis le sol, les panneaux et la luzerne. « L’analyse des données révèle que les panneaux offrent une plus grande capacité de résilience à la plante », indique de directeur de recherche. Ce dernier mène également des travaux sur l’algorithme de pilotage du dispositif afin de le rendre intelligent et de prédire au mieux l’inclinaison des panneaux en fonction des besoins agricoles et de la météo.
Un travail sur la gestion de la distribution et de la consommation d’énergie photovoltaïque est également mené au sein du bâtiment des Bachelors de l’École polytechnique. Grâce à une application dédiée, ses 500 usagers deviennent acteurs de la consommation d’énergie du site et de son impact environnemental. Les étudiants qui y logent peuvent par exemple gérer la température de leurs radiateurs à distance, en fonction de leur emploi du temps. Par ailleurs, le sous-sol abrite 10 bornes de recharge, à des fins d’expérimentation, pour les usagers de véhicules électriques du campus. « Toujours au rayon bâtimentaire, nous lançons un démonstrateur dans lequel le surplus d’énergie produit l’été par les panneaux solaires installés sera stocké sous terre, à 200 m de profondeur, sous forme de chaleur. Des pompes à chaleur restitueront cette énergie en hiver pour le chauffage », s’enthousiasme le chercheur.
Même sur l’eau
L’eau aussi est sur le point d’être conquise par le photovoltaïque. Avec la plateforme XSeaO2, des panneaux solaires seront prochainement déployés sur le lac de l’École polytechnique. Ils alimenteront un dispositif produisant un carburant synthétique à partir du CO2 et de l’hydrogène contenus dans l’eau. Le CO2 émis par le carburant étant redissous dans le lac, le dispositif se voudra proche de la neutralité carbone. Les équipes de recherche du centre E4C (LCM, LMD, UCP5) lanceront prochainement la preuve de concept. Témoin, s’il le fallait, des nombreuses facettes du photovoltaïque.
1IPVF : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, ENSCP, IPVF SAS, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
2LCM : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
3SIRTA : Site instrumental de recherche par télédétection atmosphérique, observatoire de recherche Atmosphérique (https://sirta.ipsl.fr) coordonné par l’Institut Pierre Simon Laplace et soutenu pour son fonctionnement et son développement par les organismes suivants : CNRS, École Polytechnique, UVSQ, ENPC, CEA, INERIS, EDF R&D, Météo-France.
4LMD : une unité mixte de recherche CNRS, ENS-PSL, Sorbonne Université, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
5UCP : un laboratoire ENSTA Paris, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France