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Le diagnostic par la lumière…polarisée

Le 16 juin. 2025
Enseignant-chercheur à l’École polytechnique, Angelo Pierangelo mène ses recherches sur l’imagerie polarimétrique de Mueller au sein du Laboratoire de Physique des Interfaces et des Couches Minces (LPICM*). Cette technique d’imagerie optique utilise la polarisation de la lumière pour explorer les tissus biologiques au-delà de leur surface. Par ce procédé très prometteur et à l’aide d’une technologie innovante mise au point avec son équipe, le scientifique souhaite améliorer le diagnostic de différentes pathologies tout en favorisant de nouvelles stratégies de traitement et de prise en charge des patients. Ses travaux trouvent notamment des applications dans la détection de lésions précancéreuses du col utérin et dans la surveillance de l’avancement régulier de la grossesse.
Le diagnostic par la lumière…polarisée
Angelo Pierangelo et son colposcope polarimétrique de Mueller ©Jeremy Barande - École polytechnique

Une femme enceinte se présente aux urgences avec des symptômes d’accouchement prématuré. Afin de poser son diagnostic, le praticien mesure la longueur du col utérin via une échographie transvaginale. En dessous d’un certain seuil, il considère que le risque est bien réel. La future maman est alors hospitalisée et soumise à des traitements qui diminuent ses contractions utérines. Pourtant, il n’existe aucune recommandation sur le seuil à prendre en compte pour détecter un risque de prématurité et il est actuellement impossible d’établir une corrélation précise entre la longueur cervicale et le moment de l’accouchement. « Le manque d’une technique fiable de diagnostic fait de l’accouchement prématuré la principale cause de mortalité périnatale dans le monde. Par ailleurs, de nombreuses femmes enceintes sont hospitalisées inutilement et exposées aux effets secondaires de traitements non adaptés, ce qui représente un coût de santé considérable », explique Angelo Pierangelo.

Ainsi, au Laboratoire de Physique des Interfaces et des Couches Minces (LPICM*) de l’École polytechnique, le chercheur et son équipe explorent les propriétés physiques de la lumière - plus particulièrement la polarisation - pour diagnostiquer de manière plus fiable les accouchements prématurés. D’après la théorie de l’électromagnétisme, la lumière est constituée d’un champ électrique et d’un champ magnétique fortement interconnectés qui oscillent dans l’espace et le temps. La polarisation est alors la trajectoire spatio-temporelle du champ électrique. « Lorsque la lumière polarisée interagit avec un tissu, sa polarisation se modifie selon les propriétés microscopiques de la cible », souligne le chercheur. Ce dernier utilise alors une technique d’imagerie spécifique -l’imagerie polarimétrique de Mueller- pour obtenir la caractérisation complète des propriétés polarimétriques d’un tissu biologique. 

Explorer les tissus en profondeur 

Angelo Pierangelo et son équipe ont développé un polarimètre de Mueller compact qu’ils ont intégré à un colposcope conventionnel (ndlr : un colposcope est un microscope binoculaire à faible grossissement équipé d’une forte source de lumière, habituellement destiné à l’examen in vivo du col utérin).  « Nous pouvons obtenir des images macroscopiques du col utérin comportant de précieuses informations sur sa microstructure à différentes profondeurs. En particulier sur le collagène (constitutif de 90% du volume du col utérin) dont la densité et l’organisation diminuent au cours de la gestation. Le suivi de cette dynamique de remodelage du collagène in vivo ouvre des pistes solides pour surveiller l’avancement régulier de la grossesse », explique le scientifique.

Une étude de faisabilité a ainsi été menée sur 24 patientes au centre hospitalier universitaire (CHU) Brugmann de Bruxelles. Elle a montré que la dépolarisation de la lumière induite par le tissu cervical s’atténue au cours de la grossesse, à cause notamment, de la diminution de la densité du collagène. La dépolarisation devient ainsi un paramètre plus précis et objectif que l’échographie transvaginale dont l’interprétation est intimement liée à l’opérateur.

Une première courbe de standardisation corrélant la dépolarisation (de la lumière émise dans le rouge et le proche infrarouge notamment) avec l’âge gestationnelle lors d’une grossesse à terme en a été tirée. « Toute donnée située en dehors de cette courbe peut être considérée comme un signe précurseur de grossesse potentiellement à risque. Il devrait donc être possible de prédire, en une ou deux séances d’analyse polarimétrique du col utérin, un risque réel d’accouchement prématuré et, dans un futur un peu plus lointain, le terme de la grossesse », s’enthousiasme Angelo Pierangelo. Une étude clinique est par ailleurs en cours au CHU du Kremlin-Bicêtre (France) pour analyser le col utérin de plusieurs centaines de femmes enceintes et vérifier la fiabilité statistique des résultats préliminaires obtenus à Bruxelles. Une première mondiale !

Le colposcope polarimétrique de Mueller développé par l’équipe d’Angelo Pierangelo trouve également des débouchés dans la détection des cancers du col utérin provoqués par une infection chronique au papillomavirus humain (HPV). En effet, les tissus cancéreux ou précancéreux se développent au sein du tissu épithélial squameux couvrant la surface du col (une couche très mince d’environ 300 µm d’épaisseur située à l’interface avec le vagin). « La polarimétrie de Mueller différencie efficacement les lésions précancéreuses des parties saines. Elle révèle la désorganisation caractéristique que ces lésions induisent sur le collagène présent dans le tissu conjonctif adjacent à l’épithélium squameux ». Une large étude financée par l’Institut National du Cancer et menée ex-vivo sur des spécimens de col utérin a ainsi donné des résultats très prometteurs pour la détection précise des lésions précancéreuses. Des analyses préliminaires in vivo ont confirmé ces résultats dont la validité statistique sera vérifiée lors d’une deuxième étude clinique, in vivo également. Elle sera lancée en octobre 2025 auprès de 200 femmes à l’hôpital Foch de Suresnes (France).

Un seul instrument, de nombreuses perspectives

« Avec un seul instrument, le colposcope à polarimétrie de Mueller, nous menons deux combats essentiels pour la vie des femmes : vaincre le cancer du col utérin et diagnostiquer de manière fiable la prématurité », se réjouit Angelo Pierangelo.

Aujourd’hui, l’équipe du chercheur travaille à l’amélioration des performances du colposcope polarimétrique de Mueller. Elle y intègre notamment des algorithmes d’intelligence artificielle développés en collaboration avec le Centre de mathématiques appliquées (CMAP**) de l’École polytechnique. Ces derniers sont capables de fournir un diagnostic automatisé pour les différentes pathologies d’intérêt (cancer du col utérin et fin de grossesse prématurée). Parallèlement, les scientifiques développent une technologie universelle mutualisable, facilement adaptable à d’autres systèmes d’imagerie médicale. « Cela concerne les endoscopes utilisés pour l’exploration des organes internes du corps humain et pour la chirurgie mini-invasive. Ces travaux ouvrent la voie à de nouvelles et nombreuses applications dans le domaine biomédical de l’imagerie polarimétrique de Mueller ».

 

À propose d'Angelo Pierangelo

Angelo Pierangelo est enseignant-chercheur à l'École polytechnique et dirige depuis 2015 les activités de recherche au LPICM sur la biophotonique. Il a une expertise de premier plan en instrumentation optique, en particulier dans le domaine de l'imagerie polarimétrique de Mueller pour des applications à la biomédecine. Son approche novatrice repose sur l'exploitation des propriétés de la lumière polarisée pour décrypter la microstructure complexe des tissus vivants, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles stratégies pour le diagnostic et le traitement de nombreuses pathologies. Véritable moteur d'innovation, Angelo Pierangelo conçoit des imageurs polarimétriques de Mueller aux performances inégalées, figurant parmi les pionniers dans l'application de tels systèmes in vivo. Ses applications phares sont multiples et ont un impact clinique direct, incluant la détection précoce du cancer cervical, l'amélioration du diagnostic de la prématurité, ainsi que le développement de systèmes endoscopiques pour l'exploration des organes internes et la chirurgie mini-invasive. Angelo Pierangelo est le porteur du projet POLARIMA, financé par la Fondation de l'X et étape décisive pour la concrétisation et le déploiement de sa technologie en milieu clinique. Angelo Pierangelo possède une vaste expérience en gestion de projets multidisciplinaires complexes à l’interface entre la physique, l’ingénierie, l’intelligence artificielle et le monde médical. Il a grandement contribué au développement de plusieurs collaborations avec divers centres de recherche en Physique et Traitement de Données (Xlim, ICUBE, Laboratoire Charles Fabry…) et des hôpitaux (Institut Mutualiste Montsouris, Institut Gustave Roussy, Hôpital Universitaire du Kremlin-Bicêtre, Hôpital Foch…). 

>> Angelo Pierangelo sur Research Gate
 

* LPICM : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France

** CMAP : une unité mixte de recherche CNRS, Inria, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France