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Interview avec Olivier Guaitella, spécialiste du recyclage de CO2 par plasma

Le 25 juin. 2021
Le réchauffement climatique constitue aujourd’hui une préoccupation environnementale majeure. Les émissions du CO2 en sont l’une des causes principales. De nombreux scientifiques de différents domaines explorent des pistes soit pour diminuer les émissions, soit pour convertir ou piéger la molécule de CO2. Selon Olivier Guaitella, ingénieur de recherche au Laboratoire de physique des plasmas, les plasmas froids ont une carte à jouer dans le recyclage et la valorisation du CO2.
Interview avec Olivier Guaitella, spécialiste du recyclage de CO2 par plasma

Vous êtes ingénieur de recherche au Laboratoire de physique des plasmas (LPP*), spécialiste du recyclage de CO2 par plasma. Pourriez-vous nous parler de vos travaux de recherche ?

Mes travaux portent sur l’utilisation des plasmas pour activer la molécule de dioxyde de carbone CO2 et réussir à l’utiliser comme matière première. C’est une sous-thématique d’un enjeu plus global, qui est le recyclage et la valorisation du CO2. Tout le monde sait aujourd’hui, que la réduction des émissions CO2 est primordiale pour lutter contre le réchauffement climatique.

Pourquoi recycler le CO2 au lieu de l’enfouir sous terre par exemple, comme proposent certains ?

Je trouve que léguer à des générations futures des champs souterrains de CO2 est une alternative très incertaine, complexe techniquement, acidifiant les sols et pouvant relarguer d’autres contaminants. En revanche, si on est capable de convertir l’énergie électrique renouvelable (éolienne, photovoltaïque…) en énergie chimique en transformant le CO2 en molécules à plus haute densité d’énergie (par exemple éthanol ou méthanol), on gagne sur les deux tableaux : d’une part cela permet de recycler le CO2 en énergie avant qu’il soit rejeté dans l’atmosphère et d’autre part de stocker des énergies renouvelables pour transporter cette énergie sous forme liquide.

On peut donc « faire d’une pierre deux coups » : réduire la pollution et déployer des énergies renouvelables à plus grande échelle grâce à de nouvelles possibilités de stockage !

Oui, mais la difficulté est que le CO2 est une molécule extrêmement stable qui réagit très mal chimiquement. Quand on dissocie le CO2 en monoxyde de carbone CO et en oxygène O, ces derniers tendent à se recombiner en CO2. C’est pourquoi, convertir le CO2 en molécule à plus forte densité d’énergie, c’est difficile et très couteux pour l’instant.

De nombreuses pistes sont explorées pour soit diminuer les émissions de CO2 à la source, soit convertir ou piéger la molécule de CO2. Des chercheurs de différents domaines y travaillent. Des biologistes utilisent des plantes (colza, betteraves) ou des algues qui se nourrissent en CO2 pour convertir les émissions de dioxyde de carbone en biocarburant. Des chimistes font de la catalyse thermique ou de l’électrolyse. Et nous, les physiciens, nous pensons que les plasmas froids ont une carte à jouer.

On voit que les scientifiques sont à la recherche d’une solution pour recycler le CO2. Quelle est votre proposition ?

Les plasmas froids, gaz partiellement ionisés, ont du potentiel dans la conversion du CO2. La particularité de cette catégorie de plasmas (également appelés plasmas hors équilibre thermodynamique) est que les électrons, les ions et les atomes neutres du gaz ne sont pas à la même température. Les plasmas froids sont ainsi le seul milieu dans lequel on peut exciter préférentiellement les molécules CO2 pour les rendre plus réactives sans gaspiller d’énergie à chauffer la totalité du gaz. Par ailleurs nous cherchons aussi à créer de nouveaux matériaux catalytiques spécifiques dédiés au couplage avec des plasmas pour permettre de stimuler la réactivité des molécules CO2, et d’améliorer la sélectivité des molécules synthétisées en particulier dans le cadre du projet PIONEER (www.co2pioneer.eu).

Est-ce que les plasmas interviennent dans la thématique environnementale depuis longtemps ?  

Les applications environnementales des plasmas froids sont une longue histoire. A titre d’exemple, l’une des applications industrielles majeure est l’utilisation d’ozone produite par plasma pour décontaminer l’eau courante. Ce procédé, inventé il y a plus de 100 ans, est encore utilisé aujourd’hui. 

Dans les années 1970 on commence à travailler sur le traitement des gaz d’échappement des voitures. Puis, dans les années 1980 on essaye de développer des procédés du traitement de l’air intérieur, car on s’est rendu compte que plus on cherchait à rendre les bâtiments efficaces énergétiquement, plus on les rendait étanches. L’accumulation de « Composés Organiques Volatils » (COV) devient potentiellement toxique pour l’homme. A nouveau les plasmas froids ont représenté une bonne solution, permettant d’obtenir une bonne réactivité chimique à faible coût énergétique.

La thématique CO2 apparaît dans la communauté plasma vers 2010. C’est une résurgence des travaux menés en particulier en URSS dans les années 1960. Les scientifiques soviétiques travaillaient sur les plasmas de H2 et de CO2, mais s’intéressaient plus au stockage de l’énergie qu’aux aspects écologiques. Leurs travaux initiaux ont été repris. La recherche a été continuée cette fois-ci avec des objectifs environnementaux.

 Quels sont les principaux défis aujourd’hui ?

Il y a tout d’abord un défi scientifique. Du point de vue de la recherche fondamentale en physique des plasmas, derrière le recyclage du CO2, il y a la compréhension et la maîtrise du transfert d’énergie sur les vibrations des molécules. La compréhension et le contrôle de ces transferts d’énergie ouvrira des portes à de nouveaux procédés de synthèse chimique impossible en chimie « classique » et activé à la source par de l’électricité renouvelable permettant le développement d’une nouvelle « chimie verte »

Il y a aussi des défis technologiques, voir même sociétaux derrière le recyclage du CO2 en général. Aujourd’hui, comme je l’ai dit précédemment, il existe plusieurs technologies pour valoriser le CO2, mais il n’y en a aucune qui soit viable économiquement et énergétiquement. En revanche, elles pourraient le devenir si les émissions du CO2 dans l’atmosphère étaient plus taxées. Cela pousserait les principaux pollueurs à investir davantage dans des installations de recyclage du CO2. Il s’agit ici de choix politiques et économiques.

Est-ce que cette thématique intéresse les étudiants ?

Oui, ce domaine attire beaucoup d’étudiants. Les jeunes sont beaucoup plus sensibles à la thématique environnementale que nous l’étions à leur âge. C’est probablement dû au traitement du sujet « environnement » par les médias, mais aussi au fait que les conséquences du réchauffement climatique commencent à être visibles même à l’échelle d’une vie, ce qui n’était pas le cas avant. Les scientifiques alertent sur le réchauffement climatique au moins depuis les années 1960, mais les hommes ne se sentaient pas concernés personnellement par ce problème, donc ils ne réagissaient pas.

Aujourd’hui, les sècheresses consécutives, l’augmentation des températures, la multiplication des phénomènes météorologiques violents, la montée du niveau de l’océan que l’on voit clairement dans certaines zones, sont des preuves indéniables.

Nous sommes souvent contactés par des étudiants qui sont avant tout intéressés par la thématique de la valorisation du CO2 et pas par les plasmas. Puis, en découvrant ce que l’on fait, ils se prennent au jeu et tombent amoureux de la physique des plasmas.

Quels sont les profils ? Ce sont des physiciens ?

Par forcément. Le profil des formations qui mènent à une thèse au LPP a largement changé. Avant c’étaient quasi exclusivement des physiciens et plus spécifiquement des gens qui ont suivi une formation en plasma. Maintenant, il y a des chimistes ou des biologistes.

Votre laboratoire fait partie de l’EUR PLASMAScience qui fédère les chercheurs en plasma de l’IP Paris. Est-ce que vous avez des interactions avec le Centre interdisciplinaire E4C (Energy4Climate), qui fédère les chercheurs travaillant sur les thématiques liés à l’environnement ?

Oui, au sein du LPP, plusieurs chercheurs sont impliqués dans E4C sur des thématiques complétement différentes. Ainsi, David Pai travaille sur l’électrolyse assistée par plasma et cherche à produire de l’hydrogène réellement vert. Pascale Hennequin intervient sur la thématique de la production de l’énergie par la fusion. Svetlana Starikovskaia travaille sur la combustion activée par les plasmas en vue d’améliorer le rendement des moteurs thermiques. Et moi, j’apporte ma brique sur la valorisation du CO2.

Pourquoi vous personnellement, vous vous intéressez à cette thématique environnementale ?

Tout d’abord, ayant grandi à la campagne, je préfère la nature à l’architecture de grandes villes. Je suis donc sensibilisé aux problèmes environnementaux par le fait que je constate même à mon échelle une chute de la biodiversité et des changements climatiques.

Cette thématique m’intéresse aussi du point de vue scientifique. La physique des plasmas a connu plusieurs heures de gloire depuis l’étude de l’électromagnétisme au XIX siècle jusqu’à l’avènement des procédés de dépôts et gravure en microélectronique sans lesquels il n’y aurait pas d’ordinateur aujourd’hui ! Si on arrive à valoriser le CO2 et mieux maîtriser la synthèse de molécules hors équilibre thermodynamique grâce aux plasmas froids, cela pourrait être un nouvel élan !

Dans combien de temps votre recherche sera finalisée ?

La recherche d’un scientifique n’est jamais finie.

C’est juste pour prévoir la prochaine heure de gloire des plasmas froids… Faut-il un siècle, plus, moins ?

J’espère beaucoup moins qu’un siècle ! Dans notre société actuelle on veut des résultats presque immédiats, à très court terme, on demande d’aller vite. C’est souvent comme cela que les agences de financement raisonnent. Elles veulent un prototype en trois ans sur un projet sur lequel aucune recherche n’a encore été faite… Cependant, ce n’est pas très compatible avec les temps caractéristiques de la recherche. Quand on veut vraiment comprendre les choses, et à terme peut-être aboutir à de véritables sauts technologiques, il faut se donner le temps de le faire !

*LPP : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique - Institut Polytechnique de Paris, Observatoire de Paris, Sorbonne Université, Université Paris-Saclay