FemtoArpes : quand les électrons donnent matière à voir
Voici douze ans que Lucas Perfetti, chercheur au LSI, soumet ses échantillons de matériaux au rayonnement du laser de FemtoArpes. Grâce à une source laser ultrarapide, et en collaboration avec le Synchrotron Soleil et le Laboratoire de physique des solides de l’université Paris-Saclay, le scientifique et son équipe photographient et cartographient les électrons pour mieux comprendre leur rôle et leur processus de diffusion dans la matière. Si l’instrument était unique en France à l’époque de son installation, il est devenu courant dans le milieu de la recherche. « Une mise à jour s’impose pour respecter les standards actuels », souligne Luca Perfetti.
Le laboratoire a donc obtenu une subvention de 500 000 € de la Région Île-de-France dans le cadre de l’appel à projets Sésame. L’occasion, entre autres, d’équiper FemtoArpes d’une nouvelle source de lumière qui permettra au LSI de conserver sa position d’acteur majeur dans son domaine.
Un champ de vision plus large
En effet, l’outil s’appuie sur le principe de la photoémission pour fonctionner. A l’aide d’un laser, des photons sont envoyés sur le matériau étudié et absorbés par les électrons présents dans l’échantillon. Si un photon apporte assez d’énergie, il peut expulser un électron hors du matériau. « Nous utilisons une méthode appelée pompe-sonde : une première impulsion laser (pompe) excite la matière et perturbe les électrons, une deuxième (sonde) arrache les électrons qui sont ensuite analysés par une technique spécifique de spectroscopie (ndlr : la spectroscopie de photoémission résolue en angle). En jouant sur les délais entre impulsions de pompe et de sonde, et en mesurant l’énergie émise par les électrons éjectés ainsi que l’angle formé par leur trajectoire, nous établissons une cartographie des électrons dans la matière, en temps réel et dans différents états ».
Comme l’indique son nom, le nouveau laser de FemtoArpes (Femtosecond Angularly Resolved PhotoEmission Spectroscopy) génère toujours des impulsions de sonde de l’ordre de la femtoseconde, mais cette fois à des puissances et des énergies plus élevées. « Nous allons élargir notre champ de vision, accéder à la totalité des états électroniques de la matière et pointer du doigt des phénomènes dont nous soupçonnons l’existence mais que nous n’avons pas encore pu observer. C’est le cas par exemple du changement photo induit de la chiralité d’un cristal** ». La mise à jour apportera par ailleurs davantage de puissance et de stabilité à la source de lumière, le tout dans un espace plus raisonnable. « Il y a 10 ans, un instrument équipé d’un laser de 1,5 W pour 6 microjoules par impulsion occupait la moitié d’une pièce. Aujourd’hui, pour 40 W et 160 microjoules par impulsion, l’encombrement se limite à la taille d’une table basse », s’amuse le chercheur.
Vers dix nouvelles années d’observation et de découvertes
Les scientifiques du LSI ouvrent ainsi la voie à de nouvelles perspectives de recherche et des évolutions technologiques inédites. Par exemple, dans le domaine des cellules solaires de dernière génération composées de pérovskites hybrides, FemtoArpes a déjà mis en lumière le rôle facilitateur de ces cristaux à la fois organiques et inorganiques dans la mobilité des électrons ; donc l’intérêt de les utiliser.
Des observations ont également été faites sur les transitions de l’état de la matière. « En étant photoexcités, certains matériaux passent de l’état d’isolant à celui de conducteur en quelques picosecondes (10-12s). Cela ouvre de nouveaux horizons dans le domaine de l’électronique ultrarapide, avec des dispositifs qui se comporteraient comme les synapses dans notre cerveau ».
L’outil éclaire également les scientifiques sur les processus qui transforment un courant de spin (aimantation transportée par les électrons) en courant électrique (courant de charge). « C’est une source d’énergie que l’on découvre depuis une dizaine d’année. Des applications sont possibles dans la sécurité/défense, avec des émetteurs dont la vitesse de fonctionnement est de l’ordre du térahertz (1012 Hz) alors qu’elle est de l’ordre du gigahertz (106 Hz) actuellement avec les outils bluetooth, etc. ». Ils inaugurent ainsi des outils de communication à courte portée, sécurisés et rapides, mais aussi des scanners assez sensibles pour détecter les explosifs.
« Avec une telle mise à jour, nous devrions être prêts pour une bonne dizaine d’années d’observations et de nouvelles découvertes ! », s’enthousiasme Luca Perfetti.
*LSI : une unité mixte de recherche CEA, CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
** Un objet est dit chiral s’il n’est pas superposable à son image dans un miroir. La chiralité des cristaux est issue de la façon dont sont ordonnés les atomes ou les molécules qui les composent.