Des alternatives sans PFAS pour les tenues des combattants
Être étanche à l’eau et résistant aux corps gras comme l’huile est une propriété bien pratique. De nombreux textiles sont aujourd’hui commercialisés avec ces propriétés et facilitent nos activités en extérieur ou forment des revêtements protecteurs pour les canapés et tapis. Mais pour les tenues des opérateurs de la défense, il s’agit bien plus que d’une question pratique : ne pas laisser pénétrer l’eau et l’huile est indispensable pour protéger des toxiques de guerre NRBC (nucléaire, radiologique, biologique et chimique). À l’heure actuelle, cette propriété "amphiphobe" s’acquiert grâce à des molécules appelées PFAS. Ces dernières sont cependant à la fois toxiques et persistent longtemps dans l’environnement, au point que l’on parle de "polluants éternels" à leur sujet. Elles font donc l’objet de restrictions d’usage de plus en plus importantes. C’est pourquoi la Direction générale de l’armement (DGA) et l’Agence de l’innovation de défense (AID) se sont tournées vers le CIEDS et les scientifiques de l’Institut Polytechnique de Paris, afin de trouver des alternatives aux PFAS pour les futures tenues des forces armées. C’est l’objectif d’Amphitex.
Respecter l'environnement et la santé
Les PFAS, acronyme générique regroupant les familles des molécules perfluoroalkyles et polyfluoroalkyles, se caractérisent par des chaînes d’atomes de carbone auxquelles sont liés des atomes de fluor. Cette liaison entre atome de fluor et de carbone est une des plus fortes chimiquement parlant, ce qui rend les revêtements de PFAS très stables et résistants, avec le problème néanmoins de la pollution qui s’accumule de manière persistante une fois ces molécules disséminées. "La très faible énergie de surface des PFAS est la raison pour laquelle elle repousse à la fois l’eau et l’huile, et il n’existe pas d’autres molécules aussi efficaces qu’elles de ce point de vue !" souligne Anne-Chantal Gouget, chimiste au laboratoire de Physique de la Matière Condensée* (PMC) de l'École polytechnique et responsable scientifique du projet Amphitex. Sans compter que le textile doit conserver ses propriétés de respirabilité et de résistance aux contraintes mécaniques et au lavage. De plus, le procédé de conception doit être respectueuse de l’environnement et de la santé tout en étant industrialisable, selon les critères du cahier des charges de l’AID et de la DGA. Le défi est donc de taille.
Pour le relever, des scientifiques de 5 équipes de recherche de 3 laboratoires d’IP Paris se sont rassemblés : le laboratoire de Physique de la matière condensée (PMC), le laboratoire de synthèse organique** (LSO) et l’Unité chimie et procédés*** (UCP). La stratégie poursuivie s’apparente à celle qu’on trouve dans la nature, par exemple les feuilles de lotus qui possèdent des propriétés hydrophobes (résistantes à l’eau) et oléophobes (résistantes aux corps gras), sans PFAS. "Si on observe une feuille de lotus au microscope, on remarque une structure multi-échelle, c’est-à-dire d’abord une rugosité à l’échelle micrométrique puis, en zoomant encore plus, à l’échelle nanométrique. Le tout est recouvert d’une molécule hydrophobe" explique Anne-Chantal Gouget.
Elle et ses collègues attaquent le problème par différentes facettes. Un premier axe de recherche concerne l’ "activation" du tissu. Il s’agit d’un traitement permettant aux molécules de la surface du textile d’acquérir différentes fonctions chimiques, en l’occurrence des groupes d’atomes qui faciliteront l’accrochage ultérieur d’un revêtement. Plusieurs traitements sont testés, par l’exposition aux rayons UV et à l’ozone (appelée UV-ozonolyse) ou encore par des plasmas (des gaz ionisés de différentes espèces), procédé pour lequel l’équipe bénéficie aussi de l’expertise du Laboratoire de physique des plasmas d’IP Paris.
Feuilles de lotus
En parallèle, le projet Amphitex développe la synthèse de molécules de PDMS (polydiméthylsiloxane), une molécule connue pour ses propriétés hydrophobes, et que les chercheurs ont déjà réussi à optimiser depuis le début du projet. Cette molécule est destinée à être greffée –accrochée– sur le textile activé, par exemple en imprégnant directement le tissu ou en formant des ramifications par polymérisation, afin de structurer la surface, un peu comme le sont les feuilles de lotus. Pour aller plus loin dans cette structuration multi-échelle, les chercheurs expérimentent également l’ajout de particules inorganiques, comme des billes de silice ou des bâtonnets d’oxyde de zinc. "Pour chacun de ces axes de recherche, nous testons différentes stratégies afin de déterminer la meilleure" souligne Anne-Chantal Gouget.
Ces axes constituent autant de briques que les chercheurs mettent progressivement ensemble. "Améliorer le caractère oléophobe (résistant à l’huile) est un des plus grands défis, mais, en l’espace d’un an, nous avons déjà obtenu des résultats prometteurs" se réjouit la responsable scientifique d’Amphitex. L’équipe envisage un dépôt de brevet pour certains procédés mis en place. Au-delà des applications pour la défense, le projet pourrait avoir d’autres débouchés, car les PFAS sont présents dans bien d’autres produits que les textiles par exemple dans les revêtements d’ustensiles de cuisine ou les dispositifs médicaux.
*PMC : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
**LSO : une unité mixte de recherche CNRS, ENSTA Paris, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
***UCP : un laboratoire ENSTA Paris, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France
Anne Chantal Gouget, Directrice de recherche CNRS à l'École polytechnique |