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CIMO : l’ingénierie IP Paris au service de l’Océan

Le 04 juin. 2025
Le Centre interdisciplinaire mers et océan (CIMO) est le dernier né des centres interdisciplinaires de l’Institut Polytechnique de Paris. Situé à la fois sur les campus de Palaiseau, Marne-la-Vallée et de l’ENSTA à Brest, le CIMO développe des recherches et des formations de pointe dans le domaine des sciences et de l’ingénierie maritime. Son objectif : contribuer à diminuer l’empreinte écologique des activités maritimes, à la transition énergétique et au renforcement de la surveillance environnementale des milieux marins.
CIMO : l’ingénierie IP Paris au service de l’Océan
Cargo porte-container ©ENSTA

« L’Homme a beau l’exploiter, l’océan reste un espace inconnu qu’il ne maîtrise pas », lance Margot Provost, directrice opérationnelle du Centre interdisciplinaire mers et océan (CIMO) de L'Institut Polytechnique de Paris. Pourtant, les enjeux qui y sont liés sont énormes (énergie, défense, industrie…), notamment pour la France qui possède le deuxième domaine maritime le plus étendu au monde. Cette caractéristique en fait un acteur majeur de la question de la souveraineté en Europe et influence fortement les activités du CIMO. « La mer est par ailleurs un milieu difficile qui nécessite de mariniser les recherches habituellement destinées à des applications terrestres » ajoute Laurent Mortier, directeur scientifique du centre. 

Les défis à relever sont donc de taille. Pour cela, le CIMO déploie ses activités autour de trois axes de recherche coconstruits avec la communauté scientifique de l’Institut Polytechnique de Paris et du riche écosystème français de la recherche en sciences marines. « L’ingénierie en est le dénominateur commun. C’est notre force, ce qui fait notre complémentarité avec les autres établissements de recherche », souligne la directrice opérationnelle. « Là où les universitaires considèrent un capteur d’abord comme un outil d’acquisition de données, notre rôle serait de le développer, d’affiner sa conception, ou encore de penser l’algorithme qui traitera les données récoltées, et si nécessaire de le considérer comme une sous-partie d’un système technique plus général »

Des solutions durables pour la navigation 

Une partie des activités du CIMO est ainsi tournée vers les navires durables et la décarbonation au sens large, qu’il s’agisse de propulsion ou de matériaux (axe Génie maritime et navires durables). « Cela concerne les bateaux bien sûr, mais plus globalement toute structure en mer, comme les éoliennes flottantes » précise Margot Provost. Une équipe de scientifiques dirigée par Shabnam Arbab Chirani, enseignante-chercheuse issue de l’Institut de recherche Dupuy de Lome (IRDL*) de l’ENSTA (Brest), consacre par exemple ses travaux à la durabilité des matériaux et des structures métalliques. « Nous nous interrogeons sur le recyclage intelligent des matériaux ou sur des méthodes de fabrication moins énergivores, moins consommatrices de ressources et moins polluantes. Mais nous étudions aussi la tenue des matériaux dans le temps face au phénomène de chargement », explique la chercheuse brestoise. Les structures en service comme les porte-containers qui naviguent sont en effet soumises à des sollicitations mécaniques cycliques ou aléatoires. Les scientifiques cherchent alors à déterminer le dimensionnement optimal des matériaux pour y résister. « La mer nous réserve en plus quelques spécificités comme la corrosion ou les variations de température qui impactent la vie des matériaux et nous donnent du fil à retordre »

Les éoliennes en mer peuvent aussi subir de gros efforts mécaniques, notamment de la part des vagues observées dans les zones côtières. « C’est le cas des déferlantes qui dépendent de la morphologie des fonds marins aux abords du littoral (plus hauts et plus variés). Elles sont donc moins régulières et sinusoïdales que celles évoluant au large. Elles sont non-linéaires » explique Marissa Yates, chargée de recherche au sein du Laboratoire d’hydraulique Saint-Venant (LHSV**) de l’École nationale des ponts et chaussées (ENPC).

L’importance du littoral 

La chercheuse s’intéresse à la description des conditions de ces vagues sur les côtes Atlantique et de la Manche en modélisant leur propagation à l’échelle locale. Ses travaux entrent dans le cadre de l’axe Gestion des ressources aménagement côtiers et environnement du CIMO et offrent des outils statistiques pour évaluer et prédire les contraintes maximales qui pourraient s’appliquer aux structures en service dans les années à venir. Ces informations sont précieuses pour certains de nos partenaires industriels qui, par exemple, peuvent dès lors dimensionner convenablement leurs éoliennes en mer. « Nos recherches et nos formations sur l’éolien en mer (voir encadré Master Offwind : des étudiants formés aux enjeux industriels de demain) sont un atout pour la souveraineté industrielle et énergétique du pays. Notamment dans ce secteur très concurrentiel, investi par la Chine », relève Margot Provost. 

Les vagues non linéaires ne s’attaquent pas qu’aux structures en mer. Elles impactent aussi la morphologie du trait de côte. Là encore, les travaux de Marissa Yates intéressent des entreprises comme RTE (Réseau de Transport d’Électricité) qui cherche où ancrer efficacement les câbles reliant ses éoliennes offshores au continent. « Trop d’érosion expose les câbles aux tensions mécaniques. Trop de sédiments induit une surchauffe. Connaître l’évolution morphologique du littoral sur les 40 prochaines années a ici son utilité », explique Marissa Yates.

L’enjeu est également de taille pour les collectivités territoriales qui depuis l’adoption de la loi climat et résilience en 2021 doivent intégrer l’évolution du trait de côte à leur plan local d’urbanisme (PLU) sur 30 à 100 ans. Les territoires exposés aux tempêtes hivernales et aux phénomènes d’érosion-submersion sont donc particulièrement concernés par l’expertise du CIMO. « Nous pouvons prédire statistiquement les types de vagues à venir et les mouvements de sable liés aux cycles saisonniers, sur ces échelles de temps ». L’ensemble de la tâche reste cependant complexe du fait de la variété des littoraux et des interactions humaines.

Observer l’océan

Enfin, le CIMO oriente ses recherches vers l’observation des océans, au service de la société. « Observer l’océan, c’est le comprendre mais aussi contribuer à sa préservation et à celle de la ressource », indique Margot Provost. Le centre porte notamment un projet visant à associer les bateaux marchands qui parcourent le globe à la collecte de données sur le milieu. « C’est le plus beau réseau de sentinelles dont on puisse rêver ! » s’enthousiasme Laurent Mortier. « Nous sommes en pourparlers avec les armateurs (cf encadré : À Nice, scientifiques et armateurs ensemble pour observer l’océan) pour qu’ils se lancent dans cette dynamique ». Le CIMO apporte ici son expertise en ingénierie afin d’équiper les navires d’instruments de mesure précis, à la métrologie maîtrisée, mais aussi une approche projet devenue indispensable dans un secteur totalement mondialisé. Les données récoltées bénéficieront aux scientifiques – « Nous en saurons par exemple davantage sur la pression partielle de CO2 dans les eaux de surface de l’océan et comprendrons mieux le puits de carbone, parfois une source, que ce dernier représente » - mais aussi aux compagnies marchandes qui pourront optimiser leurs trajets et ainsi réduire leur consommation de fuel comme leurs émissions de carbone. 

Parallèlement, les chercheurs du CIMO s’appuient sur les savoir-faire d’IP Paris en intelligence artificielle pour contribuer à un projet ambitieux de jumeaux numériques pour la planète (Destination Earth) et plus particulièrement pour les océans (European Digital Twin of the Ocean). Coordonné au niveau européen par la France, une part de celui-ci est consacré à la modélisation du transport maritime.  « Grâce à ces jumeaux numériques, nous disposerons d’un espace d’expérimentation pour évaluer son coût financier, carbone et environnemental », souligne Laurent Mortier. 

Partenariats et implantations multiples

Pour mener à bien ses activités, le CIMO noue de nombreux partenariats avec les acteurs académiques et économiques de la mer (IFREMER, Institut universitaire européen de la mer - IUEM, Institut de Recherche pour le Développement - IRD, Service Hydrographique et Océanographique – SHOM, IMT Atlantique, Agence Innovation Défense, Naval Group…). Le centre est également impliqué dans des projets de recherche de pointe soutenus par l’Agence Innovation Défense (développement d’instrumentation de cartographie des fonds marins, communications quantiques…). « Nos complémentarités libèrent un véritable potentiel », se réjouit Margot Provost. 

De la même façon, la double implantation du centre à Palaiseau et à Brest est synonyme de solides opportunités. « Le campus de l’Institut Polytechnique de Paris abrite des thématiques de recherches multiples dont certaines déjà tournées vers le maritime. Nous allons pouvoir leur donner de la visibilité et les connecter à l’écosystème scientifique et économique marin du campus brestois. Ce dernier bénéficiera quant à lui de cette richesse académique mais aussi d’une proximité géographique avec les grands sièges et centres de décisions franciliens », conclut la directrice opérationnelle. 

À Nice, scientifiques et armateurs ensemble pour observer l’océan

Observer l’océan à l’aide des navires commerciaux. C’est ce principe à l’origine de la climatologie moderne que Laurent Mortier, directeur scientifique du Centre interdisciplinaire mers et océan de l’Institut Polytechnique de Paris, souhaite faire évoluer pour le faire rentrer vraiment dans le 21ème siècle. Le chercheur, en collaboration avec 4 agences des Nations Unies (World Meteorological Organization - WMO, International Hydrographic Organization - IHO, International Maritime Organization - IMO et UNESCO), organise une session parallèle pendant la Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC, Nice, 9-13 juin 2025), à laquelle les armateurs sont conviés. « Nous souhaitons inviter les compagnies maritimes de shipping à participer au réseau d’observation des océans actuellement vieillissant et à contribuer à sa modernisation », explique le chercheur. L’idée est de s’appuyer sur au moins 10 000 bateaux de la flotte globale qui sillonne le globe, de les instrumenter à l’aide d’une technologie moderne et standardisée, et de récolter à un coût maîtrisé de nombreuses données scientifiques sur les océans. En améliorant les prévisions météo-océaniques, ces données permettront en outre d’optimiser les routes maritimes, aidant ainsi les armateurs à réduire leurs consommations de fuel comme leurs émissions de CO2. « En lançant cette intention à l’UNOC, nous pourrons mener des projets pilotes avec les ingénieurs des compagnies maritimes dans les 2 ans à venir, qui démontreront la faisabilité du projet à sa pleine échelle de 10 000 bateaux ».

Parallèlement, Laurent Mortier est chairman de deux sessions dédiées aux infrastructures de recherche européennes au service de l’océan et à la gouvernance des systèmes d’observation de l’océan. Elles se tiennent au sein du One Ocean Science Congress (OOSC – Nice, 3-6/06), en amont de l’UNOC. Le chercheur y présente comment l’intégration des nombreuses infrastructures de recherche marine peut permettre de rendre bien plus efficaces et moins coûteuses les opérations en mer. L’enjeu est de taille du fait de l’utilisation massive de systèmes de mesure autonomes. L’intelligence artificielle apparait alors comme la façon quasi unique d’y parvenir et d’optimiser cette intégration. « Le projet répond au besoin actuel exprimé par la Commission européenne de disposer en Europe d'infrastructures de recherche mieux intégrées, rationalisées, partageant efficacement leurs services. Un groupe du G7 Science, auquel je participe, propose d’ailleurs d’aller vers une infrastructure globale de recherche qui permettrait de coordonner de façon beaucoup plus efficace les activités de recherche et d’observation de l’océan au niveau international ».

Master Offwind : des étudiants formés aux enjeux industriels de demain

Les premiers étudiants de M1 du master « Offwind – Énergie éolienne extracôtière » prendront leurs marques en septembre 2025. L’objectif de ce programme de l’Institut Polytechnique de Paris est de former des ingénieurs et des chefs de projets pour le secteur de l’éolien en mer.  « Dans un contexte de transition et de tension énergétique croissante, il est capital que la France puisse se positionner sur ce secteur. Et pour s’implanter sur le territoire, les entreprises doivent disposer d’une main d’œuvre hautement qualifiée », souligne Margot Provost, directrice opérationnelle du Centre interdisciplinaire mers et océan (CIMO). Les formations délivrées dans le cadre du master Offwind sont intimement liées à l’expertise scientifique de l’ENSTA et de l’École nationale des ponts et chaussées (ENPC). « Cela permet une grande fluidité entre formation et recherche mais surtout une grande réactivité face à une technologie en constante évolution ». Des partenariats sont par ailleurs établis avec les industriels pour répondre au mieux à leurs besoins. Enfin, les étudiants bénéficieront au cours de leur cursus des spécificités de deux campus : un écosystème industriel tourné vers la mer à Brest, la proximité des centres décisionnaires franciliens liés à la filière et les autres centres interdisciplinaires d’IP Paris à Palaiseau (Energy 4 Climate, Materials 4 Society…).

À propos de Margot Provost 

Native de Saint-Nazaire, Margot Provost est docteure en biologie et biochimie marine (Valorisation de la fraction protéique des co-produits de saumon). Elle est actuellement directrice des opérations du Centre interdisciplinaire mers et océan (CIMO) de l’Institut Polytechnique de Paris. De 2023 à 2024, elle a été cheffe de l’institut interdisciplinaire IngéBlue (ingénierie maritime), piloté et hébergé par ENSTA Bretagne et chargée de mission Mer auprès du directeur général de l’ENSTA Bretagne. Margot Provost a également été chargée de transfert de technologies à la SATT Sud-Est (antenne Université de Corse Pasquale Paoli) de 2017 à 2023. 

>> Margot Provost sur Research Gate 

À propos de Marissa Yates 

Diplômé de MIT (2003), et du Scripps Institution of Oceanography à l’University of California, San Diego (2009), Marissa Yates est une chercheure à l’École nationale des ponts et chaussée depuis 2023. Elle a auparavant passé 12 ans au département Risques, eau et mers du Cerema (établissement public pour la transition écologique et la cohésion des territoires). Pendant cette période, elle a travaillé sur les thématiques de l’hydrodynamique de vagues et de l’évolution côtière au sein du Laboratoire d'Hydraulique Saint-Venant. Spécialisée dans les processus physiques et la modélisation numérique et empirique de la zone littorale, elle enseigne ces thèmes à l’ENPC et l’ENSTA – IP Paris depuis plus de 10 ans. 

>> Marissa Yates sur Research Gate

À propos de Shabnam Arbab Chirani 

Shabnam Arbab Chirani est professeure des universités à l’École nationale d’ingénieurs de Brest (ENIB). Elle obtient son doctorat en mécanique des matériaux à l'Université technique de Troyes/Compiègne (France) et devient ingénieure de recherche en parallèle d’activités de journaliste. Elle lance ensuite un programme de recherche sur les alliages à mémoire de forme à l'ENIB. Elle est spécialiste de la mécanique des matériaux intelligents, en particulier des alliages à mémoire de forme.

>> Shabnam Arbab Chirani sur Research Gate 

À propos de Laurent Mortier 

Laurent Mortier travaille à l'ENSTA Paris et depuis 20 ans consacre sa carrière à mettre en place des grandes Infrastructures de Recherche (IRs) et les Systèmes d’Observation de l’Océan (OOSs). Il est aujourd'hui le coordinateur du projet Horizon Europe Advanced Marine Research Infrastructure Together (AMRIT) après avoir coordonné GROOM II qui s’est achevé récemment.

>> Laurent Mortier sur Research Gate

Notes :

*IRDL : un institut CNRS, Université Bretagne Sud, ENSTA, Université de Bretagne Occidentale, Ecole nationale des ingénieurs de Brest
**LHSV : un laboratoire de recherche Cerema, École des ponts et chaussées, EDF R&D