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Allier sport et sciences, stratégie gagnante

Le 26 avr. 2024
Entre physique et physiologie, les scientifiques peuvent aider les sportifs à définir quelle stratégie adopter pour être le plus performant possible, en particulier pour les épreuves de course. Alice Boillet, doctorante au Laboratoire d’hydrodynamique (LadHyX*), optimise notamment les stratégies de poursuite par équipe en cyclisme sur piste. Avec de beaux résultats à la clé.
Allier sport et sciences, stratégie gagnante

Dans l’arène sportive, la victoire ne se décide pas qu’à la force, à l’endurance, à la dextérité ou à la performance athlétique pure. Il faut également être stratège pour se frayer à travers la concurrence un chemin vers la plus haute marche du podium. Mais, lorsque tout se joue sur des détails et quelques millièmes de seconde, trouver la tactique gagnante devient sportif !

Ici, les sciences peuvent apporter un coup de pouce. Dans le cadre de sa thèse au Laboratoire d’hydrodynamique, Alice Boillet tente de déterminer quelles sont les stratégies optimales de courses dans l’aviron ou le cyclisme, et plus particulièrement dans le cas de la poursuite par équipe en cyclisme sur piste. Dans cette épreuve, deux équipes de quatre cyclistes se poursuivent en partant de deux points diamétralement opposés du vélodrome. Le but est de faire le meilleur temps sur 4 kilomètres, ou bien de rattraper l’équipe adverse. 

Entre physique et physiologie

Comment faire le meilleur chrono possible ? Pour répondre à cette question, Alice Boillet travaille à l’interface entre physique et physiologie avec la physicienne Caroline Cohen du LadHyX et le physiologiste Laurent Messonnier du Laboratoire interuniversitaire de biologie de la motricité à Chambéry. « C’est là ma plus-value » sourit la jeune chercheuse qui a toujours été intéressée par la biologie, de sa prépa BPSCT (biologie, chimie, physique et sciences de la Terre) effectuée avant d’intégrer l’Ecole polytechnique, où elle se passionne pour les cours de physique du sport, jusqu’au master « Biomedical Engineering » de l’Institut Polytechnique de Paris et désormais, une thèse. La partie physique, modélise, à partir des équations du mouvement et des forces en jeu, comment la puissance générée par l’athlète va se traduire en termes de vitesse de déplacement sur le vélo. La seconde partie, physiologique, modélise la puissance produite, ainsi que la fatigue qui en découle, mais également les capacités de récupération.

Ce modèle physiologique se construit sur l’analogie entre puissance athlétique générée et un moteur doté de plusieurs réservoirs de carburants. Il y en a trois, pour chacune des filières énergétiques mobilisables par l’organisme : la filière « ATP », pour adénosine triphosphate, c’est-à-dire la molécule finale qui permet aux cellules de produire de l’énergie ; la filière qui transforme l’oxygène en énergie par oxydation de sucre (le glucose) ; et enfin la filière qui utilise aussi le glucose, mais sans oxygène, tout en produisant de l’acide lactique (responsable de la fatigue musculaire). Ces réservoirs sont reliés entre eux en respectant le métabolisme humain. Par exemple, l’ATP est constamment régénérée par les deux autres voies métaboliques. Et ces filières ne possèdent pas les mêmes caractéristiques : la quantité d’énergie mobilisable grâce à l’oxygène est grande, mais la vitesse à laquelle elle peut être utilisée est moins rapide que celle du réservoir produisant de l’acide lactique. En revanche, ce dernier réservoir est de taille plus limitée.

Jumeaux numériques

Ce subtil jeu de vases communicants dépend du type d’effort (sprint, demi-fond, longue distance) et de chaque sportif. La taille des réservoirs et des tuyaux est adaptée à partir de leurs caractéristiques physiologiques, par exemple la VO2 max (la quantité maximale d’oxygène qu’une personne peut utiliser par unité de temps). « On crée ainsi un jumeau numérique de chaque athlète » explique Alice Boillet.

Pour trouver les meilleures stratégies de courses en poursuite par équipe, il s’agit de déterminer quels athlètes participent à la course, l’ordre de leur relai, la durée et la puissance de ceux-ci. Avec ces paramètres, le modèle physique permet de déterminer le chrono théorique de l’équipe. Mais il n’indique pas s’il est atteignable en pratique. Les jumeaux numériques permettent ensuite de savoir si les puissances devant être générées sont réalistes. Si oui, la stratégie devient une option possible. « On ne teste pas toutes les options réalistes car il y aurait trop de combinaisons, donc je fais également de l’optimisation numérique pour trouver les meilleures stratégies, détaille la doctorante. Ce sont d’ailleurs plutôt des tendances que nous partageons et il n’est pas question d’imposer quelque chose, nous sommes là au service des athlètes et des entraîneurs. »

Au championnat du monde 2022, les conseils des scientifiques ont été suivis sur l’ordre et la durée des relais des coureuses de la poursuite par équipe. Résultat : une très bonne performance récompensée par une médaille de bronze !  « Il est difficile de dire à quel point la stratégie a joué, mais c’était un très beau résultat » se réjouit Alice Boillet. En sport comme en sciences, rigueur et prudence restent de mise. Mais c’est de bon augure pour les JO 2024.

 

En savoir plus :

Alice Boillet, Laurent Messonnier, Caroline Cohen, Individualized physiology-based digital twin model for sports performance prediction: a reinterpretation of the Margaria–Morton model, Scientific Reports, 2024. DOI: https://doi.org/10.1038/s41598-024-56042-0

*LadHyX : une unité mixte de recherche CNRS, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France