L’intelligence artificielle au service de la médecine de précision

De l’ingénierie à la médecine, il n’y a parfois qu’un algorithme. Comme ceux que Nesma Houmani, enseignante-chercheuse à Télécom SudParis, entraîne à identifier des pathologies ou à affiner un diagnostic. « L’objectif est de fournir aux soignants un outil d’aide à la décision fin, précis et rapide à partir de données cliniques humaines. En bref, d’aider à développer une médecine de précision », résume la chercheuse du Laboratoire SAMOVAR* (Services répartis, architecture, modélisation, validation, administration de réseaux).
Le principe est simple, la mise en œuvre plus délicate. D’abord, il s’agit d’apprendre aux modèles algorithmiques à distinguer plusieurs nuances d’une même pathologie ou encore l’éventail des réactions possibles à un traitement. Les algorithmes sont entraînés, par exemple, à décrire une image (IRM, radio, etc) et à interpréter des signaux comme ceux d’un électroencéphalogramme (EEG) ou d’autres données d’un patient telles que la taille, le poids, l’âge et la date d’admission à l’hôpital. En phase de test, les algorithmes sont évalués afin de déterminer leur performance et leur pouvoir de généralisation. « Les résultats de l’analyse par l’algorithme sont conditionnés par la qualité des données, or celles-ci peuvent être dégradées ou imparfaites », explique Nesma Houmani. Une information peut manquer à un dossier médical faute de temps pour un examen exhaustif, un électrocardiogramme peut comporter un bruit de fond dû à la machine, un patient peut avoir bougé pendant l’enregistrement d’un EEG…
Intelligence algorithmique
Et c’est là que réside la puissance de l’intelligence artificielle, ou l’ « intelligence algorithmique » comme la chercheuse préfère la qualifier, capable de traiter une quantité importante de données grâce aux avancées technologiques et d’appréhender leur grande variabilité propre au secteur de la santé. « Nous avons maintenant une expérience relativement pointue sur l’acquisition de données médicales humaines permettant d’améliorer la qualité des données acquises », rassure la maître de conférences.
Depuis maintenant 12 ans, Nesma Houmani travaille ainsi dans le domaine de la santé avec plusieurs équipes médicales de l’AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris), notamment de l'hôpital Paul Brousse, de l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière et de l'hôpital Charles-Foix, mais aussi avec le Centre Hospitalier Sud Francilien, le Génopole, et le centre de réhabilitation UGECAM (Union pour la gestion des établissements des caisses de l'Assurance Maladie) d’Ile-de-France, et le centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille. Ses dernières recherches concernent l’étude de l’activité cérébrale par l’électroencéphalographie ou encore l’analyse de la marche dans le cas de maladies neurologiques.
En pratique, les chercheurs de Télécom SudParis testent différentes méthodes, les ajustent et définissent la pertinence des résultats obtenus pour les diagnostics et thérapeutiques, en collaboration avec les médecins et l’institution hospitalière. « Tout part du terrain », précise Nesma Houmani. « Nous travaillons avec les équipes médicales à partir de leurs besoins et de leurs données afin d’affiner la détection des pathologies, d’en apprécier la sévérité, et d’établir des phénotypes détaillés des patients. »
Une autre vision de la gestion de données
In fine, les algorithmes peuvent fusionner des données et identifier des relations entre des variables cliniques qui pourraient échapper aux équipes médicales. Cela aiderait à mieux caractériser les individus et à proposer des parcours thérapeutiques adaptés et des traitements qui correspondent le mieux aux patients.
En ce moment, l’équipe à laquelle appartient Nesma Houmani vise à exploiter l’IA dans le cas de la transplantation hépatique. Les algorithmes développés aident à établir les ensembles de variables les plus pertinents et surtout à identifier des corrélats entre ces variables afin de prédire plus précisément le risque de mortalité des patients. L’équipe vise également à intégrer l’IA au sein d’un logiciel utilisé dans les centres de réhabilitation de la marche. Cet outil permet d’analyser la qualité de la marche : celle-ci est-elle symétrique ? Quel est le degré du trouble dans chaque articulation ? Autant d’informations que l’outil peut analyser pour quantifier la déficience et ainsi aider à évaluer l’impact d’une thérapeutique.
Au croisement de l'innovation technologique, de la recherche scientifique interdisciplinaire et de l'évolution de la société, les travaux de Nesma Houmani présentent « une autre vision dans la manière de gérer les données générées par l’humain ». « En tant qu’ingénieure de formation initiale, j’ai besoin de cas concrets, de savoir à quoi sert ce que je fais. Et l’utilisation d’algorithmes qui tiennent compte des contraintes terrain et dont on arrive à expliquer les résultats participe à cela. »

À propos :
Nesma Houmani, maître de conférences au laboratoire SAMOVAR de Télécom SudParis, travaille sur un large spectre de l’intelligence artificielle, allant de l'électronique à la science des données, en passant par le traitement des signaux et des images, l'apprentissage automatique, la reconnaissance des formes et l'informatique.
Ingénieur en télécommunications, Nesma Houmani a obtenu son doctorat en biométrie en 2011. En 2012, elle a rejoint l'équipe « Brain Computer Interface » du Brain Plasticity Lab à l'École Supérieure de Physique et Chimie Industrielles de la ville de Paris (ESPCI), où elle a commencé ses recherches sur la caractérisation de l'activité cérébrale. Depuis 2015, elle est professeure associée, membre de l'équipe ARMEDIA du laboratoire SAMOVAR à Telecom Sud Paris.
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* SAMOVAR : un laboratoire de recherche Télécom SudParis, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France.