Les entretiens du CIEDS : rencontrez, dans l’épisode 3, Gabriel Vernhes de l’Unité d’Économie Appliquée
À propos de l’invité
Gabriel Vernhes
Postdoctorant
UEA, ENSTA
« Mes recherches portent sur les flux de connaissances internationaux dans les domaines militaires et aérospatiaux et, entre autres, sur les dynamiques économiques qui transforment les avancées scientifiques en armes. »
Après une licence d’économie et une première année de master en économie internationale, Gabriel Vernhes a intégré le master 2 de conseil en organisation, stratégie & système d’information de l’ENSTA. Il s'est ensuite orienté vers une thèse, réalisée sous la direction de Didier Lebert, au sein de l'Unité d’Économie Appliquée de l’ENSTA. Son doctorat en poche, il poursuit actuellement ses recherches dans le cadre d’un postdoctorat au sein du même laboratoire.
Les moments clés de l’épisode
Priorités de l’innovation de défense en économie appliquée
Contrairement aux États-Unis, l’Europe est très dispersée dans ses efforts d’innovation de défense. Une des priorités serait, selon Gabriel Vernhes, de mutualiser les efforts de R&D à l’échelle européenne.
Financements de la recherche fondamentale : privés VS publics
Depuis les années 1990, l’État s’est retiré du financement de la recherche fondamentale, surtout en Europe et particulièrement en France, explique l’invité. Selon lui, ce retrait serait l’un des facteurs responsables de la diminution des capacités de la France en matière d’innovation militaire. L’innovation se situerait aujourd'hui en dehors de la sphère défense et relèverait désormais du domaine civil.
Dualité militaire/civile
Durant la guerre froide, la course à l’espace était principalement guidée par les États, grâce au financement public. Le domaine civil profitait énormément de ces innovations. Depuis les années 1990, l’État s'est légèrement retiré du financement de la recherche scientifique et technologique militaire. Le secteur civil a alors pris le relais, développant des technologies de télécommunication, de lancement de satellites ou d’intelligence artificielle, par exemple. Aujourd'hui, la question de la dualité se traduit par un domaine militaire qui doit aller chercher ces innovations dans le secteur civil. Cela requiert un travail de veille colossal dans l’optique de pouvoir intégrer ces innovations dans les forces armées.
Interactions avec le CIEDS
Lors d’Opération CIEDS, le jeune chercheur a pu discuter avec des membres des forces armées et recueillir leur expertise ainsi que leur expérience du terrain. Ces discussions lui ont permis de confronter ses connaissances théoriques avec la réalité du terrain. Cette journée a également permis à Gabriel Vernhes d’échanger avec des industriels, des acteurs de l’innovation de défense et d’autres chercheurs.
Attentes des jeunes de l’écosystème de défense
De nos jours, le cyberespace est un enjeu majeur, affirme l’invité du jour. Les menaces présentes sur Internet sont susceptibles de déstabiliser profondément nos sociétés. Il ajoute qu'elles devraient s'accentuer à l'avenir. Il est donc essentiel que les systèmes d'innovation de défense tiennent compte de ces enjeux afin de garantir l'accès à des systèmes d'information sûrs et protégés, souligne Gabriel Vernhes. Selon lui, le second enjeu consiste à intégrer la défense de l’environnement à la fois dans l’usage des innovations militaires et, autant que possible, dans leur conception, afin que la protection des écosystèmes soit renforcée au sein des enjeux de la défense nationale et européenne. À long terme, le respect et la protection de l'environnement seraient essentiels à l'équilibre géopolitique mondial.
Flux de connaissances en 2024
En étudiant les citations de brevets qui entourent l’aérospatiale et les innovations militaires, le postdoctorant a remarqué que la Chine a énormément cité de brevets européens ces 25 dernières années. Elle aurait intégré et répliqué des recherches et des technologies développées principalement aux États-Unis, mais également en Europe. À l’avenir, la Chine pourrait devenir un acteur très dangereux dans le domaine de l’innovation de défense. Gabriel Vernhes explique donc qu’il convient aux pays européens d’unir leurs forces pour faire face à ce mastodonte en devenir qu’est la Chine.
Qualité des connaissances VS flux de connaissance
Un certain nombre d'instruments existent pour évaluer la qualité d'un flux de connaissances. Un brevet déposé rapidement, financé à faible coût et comportant peu de revendications peut être considéré comme un brevet de faible valeur technologique, précise l’invité. Le volume de brevets rapporté au nombre de salariés d’une même entreprise peut également constituer un bon indicateur. L’indicateur le plus robuste reste néanmoins le nombre de citations reçues par le document dans les trois années suivant sa publication.
Flux de connaissances lors de tensions géopolitiques
Les flux de connaissances pourraient permettre de prédire l'émergence de conflits. Cependant, plusieurs années sont nécessaires pour que les citations de brevets soient consolidées et exploitables par les chercheurs. Les prédictions présentent donc un décalage par rapport à la réalité.
Dans le cas de la guerre entre l'Ukraine et la Russie, qui a officiellement débuté en 2014, les échanges de connaissances entre ces deux pays se seraient intensifiés ; en d'autres termes, la Russie aurait absorbé davantage de connaissances ukrainiennes et inversement. Selon l'économiste, ces deux pays disposeraient d'un arsenal similaire hérité de l'URSS. Lorsque l’Ukraine améliore son arsenal militaire, la Russie peut directement s'inspirer de ces avancées pour perfectionner le sien.
Depuis 2022, l’Ukraine bénéficie d’un armement fourni par les Occidentaux. Une question demeure alors : cet armement va-t-il détourner l’Ukraine de son partenariat intellectuel avec la Russie pour la rapprocher des Occidentaux ?
Un vaste champ de flux de connaissances reste donc à explorer, de quoi encourager de jeunes doctorants à poursuivre ces travaux de recherche !
Le CIEDS remercie vivement Gabriel Vernhes pour son interview passionnante et pour le temps qu’il a consacré à ce tout nouveau projet d’acculturation aux enjeux de défense.