Des robots « sociaux » pour aider les humains au quotidien

Ils peuvent détecter un malaise, vous rappeler de prendre un médicament ou vous aider à gérer des situations extrêmement stressantes. Si les « robots sociaux », nourris à l’intelligence artificielle (IA), sont encore peu présents dans notre vie quotidienne, ils occupent déjà à plein temps Adriana Tapus. L’enseignante-chercheuse de l’Unité d’informatique et d’ingénierie des systèmes (U2IS) de l’ENSTA conçoit des systèmes robotiques dotés de capacités cognitives et pouvant interagir avec des humains. Le but : améliorer le quotidien des personnes en établissant une relation symbiotique avec les robots capables d’adapter leurs comportements en fonction des profils des utilisateurs et de l'évolution de leurs besoins.
Pour aider l’humain, il faut le comprendre. Adriana Tapus tente donc de le « modéliser », autrement dit de mettre en équation sa gestuelle, sa posture et ses expressions faciales, mais aussi certains indicateurs comme la température du visage ou le rythme cardiaque qui peuvent renseigner sur les émotions d’une personne. Les applications sont nombreuses et se conjuguent dans le domaine médical, de la surveillance d’infrastructures sensibles comme les centrales nucléaires, de l’industrie automobile, ou encore de l’éducation.
« L’humain est complexe »
Principale difficulté : « l’humain est complexe, aucune personne n’est identique et une même personne peut avoir différentes humeurs au fil de la journée qui ont un effet sur ses interactions sociales et sa performance dans les tâches quotidiennes », poursuit la directrice de l’École doctorale de l'Institut Polytechnique de Paris. Ensuite, ces robots partagent l’espace avec les gens, il faut alors leur permettre de s’adapter à leur environnement. « Au cœur de notre approche se trouve la capacité du robot à comprendre son partenaire humain et à ajuster son comportement en fonction des caractéristiques de l'utilisateur, y compris sa personnalité, ses préférences, son état émotionnel, ses capacités physiques ou cognitives, et même sa fatigue, tout en tenant compte de la tâche à accomplir. Cette adaptation en utilisant des méthodes d’apprentissage et de l’IA vise à améliorer l'acceptation, la confiance et les performances de l'utilisateur », détaille la chercheuse.
Adriana Tapus et son équipe participent ainsi au développement de robots conçus pour assister des personnes vulnérables (personnes âgées, enfants, personnes en situation de handicap physique ou cognitif). « Il ne s’agit en aucun cas de remplacer les professionnels de santé, mais plutôt de les assister et de compléter leur accompagnement. » rappelle la chercheuse. Les robots pourront assurer un suivi régulier, proposer des stimulations physiques ou cognitives et accompagner des personnes sur de longues périodes, contribuant ainsi à alléger la charge des professionnels tout en garantissant un soutien continu.
Dans le cadre du projet européen ENRICHME, de 2015 à 2018, une nouvelle approche de soins pour personnes âgées a été proposée en offrant des services personnalisés, une interaction humain-robot améliorée et une infrastructure de soins professionnels. Grâce à une recherche pluridisciplinaire, ce projet auquel Adriana Tapus a participé visait à prolonger l'indépendance des personnes âgées à domicile en améliorant leur qualité de vie. Le système a été testé et validé dans plusieurs établissements en Europe (Grèce, Pologne, Angleterre), avec un impact significatif sur le bien-être des personnes âgées nécessitant une surveillance constante. Le robot les aidait à se souvenir de prendre leurs médicaments, surveillait leur température, ou encore les faisait participer à des jeux de mémoires et des exercices physiques.
Autre exemple : l’aide à la prise de décision dans des situations de stress extrême. Dans le cadre du projet européen RAICAM (Robotics and Artificial Intelligence for Critical Asset Monitoring), l’enseignante-chercheuse tente d’améliorer les interactions entre le personnel de centrales nucléaires et des robots conçus pour les assister dans la surveillance des infrastructures. Il s’agit de détecter et d’interpréter des signaux de charge cognitive (stress) comme l’augmentation de la température faciale et de déterminer le type d’assistance à apporter suivant les situations. À l’été 2025, l’équipe d’Adriana Tapus participera d’ailleurs à un exercice de simulation grandeur nature dans la centrale autrichienne de Zwentendorf, construite mais jamais mise en service, dans le cadre d’un hackathon de robotique financé par l’Union européenne (Enrich 2025).
Un humour sur mesure
Le raffinement de la modélisation des humains va même jusqu’à enseigner à des robots à développer… un sens de l’humour, dont il a été montré qu’il facilite les interactions sociales. La difficulté réside autant dans la capacité à détecter le moment adéquat pour exprimer de l’humour que dans la synchronisation entre le contenu sémantique verbal et les éléments non verbaux (gestes, posture, expressions faciales, etc.) du robot. Il s’agit également d’adapter le type d’humour à l’interlocuteur, ce qui suppose que l’intelligence artificielle reconnaisse des indices tels que le genre, l’âge ou les références culturelles de la personne. Ces travaux se poursuivront dans le nouveau projet européen de réseaux de formation doctorale EU SWEET (Social aWareness for sErvicE roboTs) qui débutera en février 2025.

À propos :
Reconnue mondialement pour ses travaux en robotique d’assistance, en interaction homme-robot et en intelligence artificielle, Adriana Tapus est Professeure à l'ENSTA, au sein de l’Unité d’Informatique et d’Ingénierie des Systèmes (U2IS). En 2011, elle a obtenu l’Habilitation à Diriger des Recherches (HDR) pour sa thèse intitulée « Vers une Interaction Homme-Robot personnalisée ». Les travaux d’Adriana Tapus ont été récompensés par plusieurs prix, parmi lesquels le titre de Chevalier des Palmes Académiques en 2022, en reconnaissance de ses contributions à la recherche académique. En 2016, elle a été nommée parmi les « 25 femmes en robotique » par Robohub et elle a reçu le Prix de l'Académie Roumaine Tudor Tanasescu en 2009 pour ses contributions à la robotique d’assistance.
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Crédits photo : @studiofredh
*U2IS : un laboratoire ENSTA, Institut Polytechnique de Paris, 91120 Palaiseau, France